Par Nouredine Bouderba, Syndicaliste, Expert en questions sociales
……Une précarité du travail qui tend à se généraliser. Plus de la moitié des travailleurs algériens, soit près de 6 millions de travailleurs, exercent dans le secteur informel, à titre de salariés non déclarés, d’indépendants, de tâcherons, d’agriculteurs, de travailleurs à domicile, etc., sans aucune protection sociale contre les aléas de la vie, la maladie ou la perte du revenu.
Dans le secteur privé formel, ils sont plus de3 millions salariés, dont les trois quarts occupent des emplois temporaires. La moitié de ces travailleurs, dont quatre jeunes sur cinq, ne sont pas déclarés à la sécurité sociale. Le pouvoir de négociation de cette tranche de travailleurs est pratiquement nul puisque, dans la pratique, le droit syndical et son corollaire, le droit à la négociation collective, pourtant consacrés par la loi, leur sont refusés.
Mais, la précarité ne se limite plus au secteur privé. Il arrive souvent de trouver, dans beaucoup d’entreprises publiques, des travailleurs en CDD successifs, depuis plus 10 ans, voire 15 ans, au mépris de la loi. Il faut noter que les travailleurs temporaires, dans leur quasi-totalité, font l’objet de discriminations multiples. Salaire réduit pour le même poste de travail, malgré une charge de travail plus importante, inégalités en matière de gestion de carrière, absence ou insuffisance de couverture médicale, d’assurance chômage, d’assurance retraite et discrimination dans le bénéfice des prestations des œuvres sociales et des mutuelles sociales. A titre d’exemple, environ un million de jeunes travaillant dans le cadre de l’emploi aidé, perçoivent des salaires inférieurs au SNMG et ne sont pas couverts contre le risque chômage et retraite, et ne bénéficient pas des prestations des œuvres sociales et de la mutuelle, lorsque cette dernière existe.
Un désengagement de l’Etat et une sécurité sociale de plus en plus défaillante
Parallèlement au désengagement de l’Etat, en matière de couverture sanitaire, la sécurité sociale n’arrive plus à assurer ses missions de protection contre les aléas sociaux, notamment contre la maladie et la perte des revenus. La part des dépenses réelles en soins, remboursée, est en régression continue. La proportion des dépenses en médicaments remboursés se situe entre 50 et 60 % en moyenne. Celle des actes médicaux, consultation des médecins et dentistes privés, analyses d’exploration, imagerie médicale, etc., ne dépasse pas 4 à 5 %, car elle est toujours indexée sur la nomenclature de 1987. Un patient qui débourse entre 2000 et 5000 DA pour consulter un médecin spécialiste n’est remboursé qu’à hauteur de 80 DA.
Le montant mensuel par enfant des allocations familiales, qui représentait 15 % du SNMG en 1995, en représente moins de 2 % en 2019, car toujours indexé sur le SNMG de 1994.
Une dégradation du secteur de l’éducation et un recul de ses performances…
L’école, confrontée à des surcharges de classes, au manque d’enseignants, à des cantines scolaires en recul, n’arrive plus à accueillir dans des conditions normales tous les enfants. Les taux de redoublement et du décrochage scolaire ont atteint un niveau inquiétant et la qualité de l’enseignement fait qu’aucune université algérienne ne figure au TOP 500 mondial. Les dépenses publiques en éducation, qui représentaient plus que 7 % du PIB en 1980, en représentent moins de 5 % en 2018. Parallèlement à cela, on assiste à une éclosion des écoles privées et des …cours de soutien privés, qui sont hors de portée du pouvoir d’achat de la majorité des travailleurs.
Troisième partie
3- L’impact de la pandémie en Algérie et les mesures de protection
Devant l’ampleur d’une telle crise sanitaire et le choc socioéconomique qu’elle a induit, deux types de mesures s’imposent. (1) Les mesures d’urgence à court terme, afin d’apporter des réponses immédiates aux effets de la pandémie, sur le plan sanitaire et à ses conséquences économiques et sociales. (2) Repenser toute la politique de développement, à long terme, qui doit dorénavant être centrée sur l’Homme, le progrès partagé et la justice sociale, et s’articuler autour d’un secteur public fort, capable d’apporter des réponses aux besoins essentiels de la population et aux futures crises.
Les premiers effets de la pandémie ont commencé à se faire ressentir, dès le mois de mars 2020, au cours duquel les premières mesures de prévention sanitaire, qui s’imposaient en pareille situation, ont commencé à voir le jour. Des barrières sanitaires et une distanciation sociale, puis un confinement, ont été instaurés graduellement, afin de protéger la population sur le plan sanitaire. La fermeture totale ou partielle des activités économiques, commerciales et culturelles, ont causé d’importantes pertes de revenus, qui ont impacté la vie de millions de travailleurs, tous statuts confondus, et la solvabilité des entreprises, notamment les TPME.
3.1- Une riposte sanitaire avec des lacunes qui auraient pu être évitées
En même temps que la perte de leurs revenus, les travailleurs ont eu à faire face à d’importantes dépenses supplémentaires, occasionnées par les mesures de prévention sanitaire (tests, scanners, bavettes, solutions hydro alcooliques, frais pour soins etc.), et par une augmentation de l’inflation. Ces dépenses supplémentaires étaient d’autant plus importantes que les prix des actes médicaux ont explosé durant l’épidémie.
Les autorités publiques, en mettant en place progressivement, à compter du 12 mars 2020, un dispositif de prévention d’urgence qu’imposait la situation dans le but d’éviter la propagation du virus, n’ont pas pris les mesures d’accompagnement nécessaires, qui auraient pu assurer la viabilité du dispositif, d’un côté, et l’accès à la prévention et aux soins pour toute la population.
Au moment où les blouses blanches du secteur public, auxquelles on ne rendra jamais tout l’hommage qu’elles méritent, se sont retrouvées en première ligne du front, au risque de leur vie et de leur santé, parfois sans les moyens de protection élémentaires, les lobbys privés, profitant de l’absence total de l’Etat pour la réglementation de ces actes et le contrôle de leurs prix, et l’absence de l’hôpital public en matière de prévention (les tests et les scanners ont été monopolisés par le privé, malgré le fait que tous les hôpitaux disposent de structures habilitées à les réaliser). Les prix des tests ont augmenté en moyenne de 50 à 100 % et ceux des bavettes et des solutions hydro-alcooliques ont été multipliés par quatre, voire par cinq.
Durant neuf mois, aucune mesure n’a été prise par l’Etat dans le but de rendre les tests et scanner disponibles dans les hôpitaux et déplafonner leurs prix ou les rendre gratuits dans le privé, moyennant compensation par l’Etat et la sécurité sociale. Aucune mesure n’a été prise, non plus, pour assurer le remboursement, par la sécurité sociale, des dépenses occasionnées par ces actes médicaux.
Ce n’est qu’en décembre 2020, soit neuf mois après le déclenchement de l’épidémie, que l’Etat a pris des décisions dans ce domaine qui, le moins que l’on puisse dire, soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses aux attentes des citoyens.
Dans un premier temps, il a été décidé, lors d’un conseil interministériel tenu le 5 décembre 2020, l’octroi d’une aide financière à compter du 1er janvier 2021, au titre des frais engagés pour les tests et scanners. Puis, le 10 décembre 2020, le gouvernement annonce un « accord » de plafonnement des prix des tests et scanner, accepté par « 11 laboratoires privés ».
Ainsi, après avoir livré, durant 9 mois, la population aux spéculateurs en blouses blanches, le gouvernement décide non pas d’user de ses pouvoirs de puissance publique pour réglementer les prix des actes médicaux et les rendre accessibles à la population, mais accepte de négocier ces prix avec des lobbys sur le dos des démunis.
Cette démarche a abouti à des résultats contradictoires et inacceptables. En effet on est en droit de nous poser les questions suivantes :
-Pourquoi l’Etat n’a pas commencé par plafonner les prix pour ensuite fixer les taux de l’aide en fonction du niveau de ces derniers afin de les rendre accessible à toute la population ?
-Comment expliquer qu’un scanner dont le prix est plafonné à 7000 DA est remboursé à hauteur de 72 % (5000 DA), alors qu’un RT-PCR, plafonné à 8800 DA n’est remboursé qu’à hauteur de 40 % (3500 DA) ?
-Comment expliquer que le prix d’un RT-PCR est plafonné à un niveau (8800 DA) supérieur à ceux en vigueur en Allemagne et au Canada (50 £) ou en France (54 £), alors que les salaires, composants du prix du test, sont dix fois supérieurs dans ces pays par rapport aux salaires en Algérie ?
-Comment expliquer que le prix d’un test PCR antigénique est plafonné à 3600 DA, alors que le coût de son KIT n’est que de 1 000 DA (8 Euros) et que lors de son entrée sur le marché algérien en juillet 2020 ce test était réalisé au prix de 2500 DA ?
-Comment expliquer que le test sérologique, qui fait pourtant partie du protocole anti-Covid-19arrêté par le ministère de la Santé, n’est pas remboursé ?
-Comment, enfin, expliquer que les médecins ont continué durant la période de l’épidémie à facturer une consultation au prix de 1000 DA (généraliste) et 2000 à 5000 DA (spécialiste) ?
Pour répondre à ces questions, il est utile de rappeler que, face à une crise d’une telle ampleur, la mission des pouvoirs publics est de répondre aux besoins de santé de la nation. Le gouvernement à l’obligation d’assurer la prévention et la protection de tous les citoyens et de leur rendre accessibles les soins.
Pour ce faire le gouvernement doit faire en sorte que le dépistage (tests et imagerie médicale) soit réalisé dans l’hôpital public. Il doit en tant que puissance publique plafonner les prix des tests et scanners et les imposer à tous laboratoires et centres d’imagerie médicale privés quitte à recourir à la procédure de réquisition. De plus le citoyen ne devrait payer aucun Dinar au titre du dépistage qui doit être pris totalement en charge par la sécurité sociale (pour les assurés sociaux) et l’Etat (pour les non assurés).
Par ailleurs l’Etat devrait assurer la distribution gratuite des bavettes de protection ou à la limite plafonner leurs prix à dix (10) DA, moyennant éventuellement compensation pour les producteurs,
3.2-Un impact économique et social qui exige des mesures urgentes …
Il faut de primes abords noter qu’aucune statistique sur les effets du Covid-19 sur l’économie, les entreprises, l’emploi, et la perte des revenus des travailleurs n’a été publiée durant ces 10 mois de barrières sanitaires et de verrouillage économique. Les résultats de l’enquête semestrielle de l’ONS sur l’emploi et le chômage ne sont plus publiés, depuis mai 2019, les aiguilles du ministère du Travail, des agences liées aux dispositifs de l’emploi et celles des caisses de sécurité sociale sont restées bloquées sur l’année 2018.
● L’Etat a, depuis le mois de mars 2020, engagé des actions de soutien à l’économie. Il a pris des mesures destinées à soulager la trésorerie des entreprises publiques et privées, en agissant sur les leviers fiscaux, parafiscaux, douaniers et bancaires. De mon point de vue, ces aides devraient être priorisées. Les entreprises dont les activités revêtent un caractère stratégique ou de service public doivent avoir la priorité absolue. La seconde priorité devrait être accordée aux entreprises activant dans les secteurs les plus impactés (Transport, Tourisme, Hôtellerie, Restauration, Culture…).
Etat devrait retenir des critères objectifs pour l’octroi de cet aide. On pourrait retenir parmi ces critères la perte d’au moins 50 % du chiffre d’affaires pour raison avérée du Covid-19. Le soutien doit être aussi conditionné par l’interdiction de licencier des travailleurs pour cause de l’épidémie.
● Pour ce qui est de la perte de revenus il faut rappeler que le gouvernement a pris des mesures barrières destinées à réduire les contacts entre personnes. Parmi ces mesures la mise en congé spécial rémunéré d’au moins la moitié des fonctionnaires (à compter du 21 mars 2020) et des travailleurs du secteur économique public et privé (à compter du 24 mars) avec compensation, par l’Etat, des pertes éventuelles, causées par ces mesures aux entreprises concernées (Décrets exécutifs n ° 20-69 et 20-70 de mars 2020).
Si la totalité des fonctionnaires et la très grande majorité des travailleurs du secteur économique public ont bénéficié de cette mesure, ce n’est malheureusement pas le cas des travailleurs du secteur privé qui emploie, il faut le rappeler, quelque trois millions de salariés.
● D’autres mesures de soutien ont été prises par l’Etat, pour venir en aide aux PME, aux petits métiers et aux personnes démunies. Il s’agit d’une aide financière de 30 000 dinars allouée aux PME et petits métiers, touchés par la pandémie pendant une période de 3 mois et une aide de 10 000 DA pour les démunis (curieusement il a été décidé que cette dernière n’est pas cumulable avec l’aide au couffin de Ramadan qui s’est élevée à 6 000 DA en 2019. Ce qui a eu pour effet de neutraliser son efficacité).Si le bilan de ces deux aides reste à faire, il semble qu’elles ont connu des taux d’exclusion très élevés.
Par ailleurs l’anarchie qui a caractérisé l’opération de recensement par les APC des démunis et la difficulté d’identifier ces derniers devraient pousser le gouvernement à méditer sur l’impossibilité d’identifier la population nécessiteuse en l’état actuel de l’administration algérienne et devant la proportion de l’activité informelle qui emploie au minimum la moitié des travailleurs algériens tous secteurs confondus.
● L’OIT, par le biais de son observatoire sur la Covid-19 et le monde du travail, évalue les pertes moyennes causées par l’épidémie dans les pays de l’Afrique du nord, en 2020, à 11,1 % des heures par rapport à l’année 2019, ce qui équivaut à 6,8 millions d’emplois à temps plein perdus sur l’année (OIT 2020).
Selon mes calculs et si l’on admet que cette moyenne de pertes s’applique à l’Algérie, cela nous donnerait une perte de revenus (avant compensation par l’Etat) pour les travailleurs, tous statuts confondus, équivalente à 1 200 milliards DA dont 45 % pour les salariés et 55% pour les indépendants.
● Sur la base de cette évaluation et en tenant compte des compensations par l’Etat du congé spécial rémunéré cité plus haut, on peut situer le niveau des pertes non compensées à un niveau compris entre 800 et 900 milliards de DA. L’Etat devrait, par le biais du trésor public, prendre en charge au moins la moitié de ces pertes. Pour ce faire, il devra donc mobiliser entre 400 et 450 milliards de DA qui seront destinés à compenser, à hauteur de 50 %,les pertes de revenu du secteur informel et les salaires du secteur économique. Pour leur part les entreprises non impactées sérieusement par le Covid-19 devraient prendre en charge jusqu’à 20 % de ces pertes.
● Dans ce cadre deux Fonds de solidarité anti-COVID-19 devraient être créés et gérés, soit par une même entité, soit par deux entités avec une coordination très poussée :
– Le premier « fonds de solidarité pour les travailleurs salariés » de tous les secteurs, qui aura pour mission de compenser les pertes de salaires des salariés. Il sera financé par l’Etat à hauteur de 50 % (ce sera l’occasion pour créer un impôt sur les fortunes et un autre impôt de solidarité) et par les entreprises.
Contribueront au financement de ce fonds 1) la CNAC qui gère l’assurance chômage des salariés, 2) la CNAS qui gère les congés de maladies et l’action sociale et enfin 3) les œuvres sociales qui peuvent, par exemple, affecter la part du Budget de l’année 2020 (+2021 ?) consacrée aux voyages organisés dont le voyage Omra et le Hadj.
– Le deuxième « Fonds de solidarité avec les travailleurs non-salariés »aura pour mission de compenser les pertes des travailleurs indépendants, des agriculteurs, des petits métiers,des travailleurs à domicile, des fonctions libérales, etc. Ce fonds sera financé par l’Etat à travers un impôt sur la fortune et l’institution d’un impôt de solidarité. Doivent contribuer à ce fonds la CASNOS qui gère l’action sociale des non-salariés et les fonctions libérales non impactées par la pandémie (médecins, laboratoires, pharmaciens, certains commerces etc.).
3.3-Réhabiliter la CNAC dans sa vraie mission et mettre fin à ses dépenses indues
Durant cette crise, aussi bien le gouvernement que certains experts proposent d’étendre les prestations de la CNAC aux indépendants et libéraux et même aux entreprises. La CNAC étant financé par des cotisations sur les salaires, il faut préciser d’ores et déjà que cette éventuelle extension à des non-salariés serait non seulement injuste mais aussi illégale.
Créée en 1994, en tant qu’institution de la sécurité sociale, la CNAC a pour vocation principale d’assurer une allocation chômage aux travailleurs salariés ayant perdu involontairement leur emploi pour des raisons économiques. Ces allocations sont financées par des cotisations sociales prélevées sur les salaires. En réalité, la CNAC a été utilisée comme amortisseur social consécutivement aux licenciements économiques opérés dans le secteur public, dans le cadre du plan d’ajustement structurel imposé par le FMI en 1994.
Douze années après sa création, elle n’avait rempli que très partiellement ce rôle, puisque sur plus d’un (01) million de licenciés, seuls 189 000, soit 18 %, ont été indemnisés, et moins de 1 % des travailleurs ayant perdu leur emploi et pris en charge par la CNAC ont pu être réinsérés, au terme de cette prise en charge, malgré les sommes dépensées dans ce cadre, entre 1998 et 2004.
Depuis 2004, la CNAC a commencé à être détournée de ses missions et ses finances, provenant des cotisations des travailleurs, font l’objet de dépenses au profit de catégories indues, au moment où 80 % des salariés qui la financent (titulaires de CDD et d’autres catégories de salariés) sont exclus de l’assurance chômage. En plus du caractère illégitime des dépenses qu’ils ont occasionnées, les dispositifs de soutien à la création d’activité pour les chômeurs promoteurs (depuis 2004) et celui portant mesures d’encouragement et d’appui à la promotion de l’emploi (depuis 2006) n’ont donné aucun résultat digne d’intérêt à ce jour. Depuis 2004, sur un montant supérieur à 500 milliards de DA de recettes affectées à la CNAC, seuls 5 % ont été dépensés en allocation chômage, et le reste dilapidé entre ces différents dispositifs sans contrepartie. C’est pourquoi aujourd’hui, à la lumière de ce bilan et à la lumière de l’impact de la pandémie sur le revenu des travailleurs, une refonte totale du statut et de l’activité de la CNAC s’impose.
● La première réforme est de mettre fin aux dépenses indues sans contreparties, financées par les salariés, effectuées par la CNAC, dont bénéficient les entrepreneurs et les entreprises privées
● La deuxième réforme devra mettre fin à la discrimination, en matière de conditions d’ouverture de droit, dont sont victimes 80 % salariés qui la financent. Il s’agit des salariés des entreprises employant moins de 10 travailleurs, des salariés à contrat de travail à durée déterminée, des travailleurs saisonniers, des salariés en cessation temporaire de travail pour cause de chômage technique, de chômage intempérie, ou en cessation temporaire ou permanente de travail, d’un sinistre ou d’une catastrophe naturelle, des salariés ne justifiant pas d’une période d’affiliation à la sécurité sociale cumulée de 3 années, et enfin les salariés dont le chômage résulte d’un conflit de travail ou en raison d’un licenciement disciplinaire ou d’une démission.
● La troisième réforme doit consister à étendre l’assurance chômage aux non-salariés, aux indépendants, aux agriculteurs et aux fonctions libérales. Cette extension ne pourra toutefois s’effectuer qu’à travers la création d’une branche spécifique d’assurance chômage pour les non-salariés moyennant une cotisation bien sûr. Les syndicats et associations représentant ces catégories doivent jouer un rôle actif dans cette perspective.
● La quatrième réforme consistera à consolider la viabilité de la CNAC par le relèvement des taux de cotisation (un sujet qu’évitent systématiquement les think-tanks au service des entrepreneurs), à imputer aux employeurs, de trois points au titre des travailleurs en contrat à durée indéterminée-CDI (pour le porter à 4.5 %) et de 3.5 points (pour le porter à 5 %) au titre des travailleurs en contrat à durée déterminée –CDD-. Ce relèvement du taux de cotisation assurera à la CNAC des recettes supplémentaires annuelles, toutes choses égales par ailleurs, de l’ordre de 120 milliards de DA.
● Il faut savoir à ce sujet, qu’en 2020, le taux de cotisation assurance chômage s’élève, en Algérie, à 1,5 % du salaire (dont 1% à la charge de l’employeur) alors qu’en France il est à la charge exclusive des employeurs et s’élève à 4,05 % du salaire, au titre des travailleurs avec contrat à durée indéterminée (CDI), et à 4,55 % pour les travailleurs en CDD. A ces taux s’ajoute une taxe additionnelle de 10 £ pour chaque CDD. En Italie, la cotisation, à la charge exclusive de l’employeur là aussi, est fixée à 1,61 % du salaire pour les CDI et à 3,01 % pour les CDD. Enfin, en Espagne, le taux de cotisation est de 7,05 % du salaire pour les CDI et 8,3 % pour les CDD supportées à hauteur de 80 % par les employeurs. Lorsqu’on voit l’insignifiance du taux de cotisation en vigueur en Algérie, on comprend mieux le refus des experts libéraux d’aborder cet aspect de la viabilité financière.
● L’affirmation par les libéraux au sujet de la prétendue générosité des prestations qu’ils voudraient voir réduites est contredite par la réalité. Les indicateurs qui nous renseignent sur une éventuelle générosité d’une prestation chômage sont la durée d’affiliation pour en bénéficier, le taux de remplacement (c’est-à-dire le montant de l’allocation chômage rapporté au salaire de référence) et enfin la durée d’indemnisation. Tous ces indicateurs viennent contredire nos think-tanks. Examinons ce qu’il en est :
– La durée minimale d’affiliation est de trente-six (36) mois en Algérie contre trois (03) mois en Italie, quatre (04) mois en France et six (06) mois en Finlande, au Luxembourg, aux Pays Bas et en Suède …
– le taux de remplacement pour un salaire moyen (40 000 DA) avec une ancienneté de 6 années, sur toute la période d’indemnisation est de 54,4% du salaire moyen de la dernière année en Algérie (calcul de l’auteur) contre une allocation comprise entre 57 et 75 % du dernier salaire en France, et entre 60 et 67 % en Allemagne.
– La durée d’indemnisation est fixée à deux mois par année d’ancienneté, plafonnée à 36 mois, en Algérie. Soit une durée d’indemnisation maximale de douze (12) mois pour un salaire moyen avec une ancienneté de 6 années. En Allemagne, cette durée est d’un an (18 mois, si le salarié a plus de 55 ans) et en France elle est comprise entre 24 mois (si le travailleur est âgéde moins de 53 ans) et 36 mois (si le travailleur est âgé de 55 ans et plus). De plus, dans ces deux derniers pays, l’allocation chômage est remplacée à la fin de la période de droit par une aide au chômage ou une aide sociale versée par l’Etat, pour une période indéterminée. Ce qui n’est pas le cas en Algérie.
De façon générale, « … la durée d’indemnisation dans la plupart des pays en Europe, dépasse 24 mois (Finlande, Norvège, Espagne, Italie, Danemark, Suisse, Allemagne…) et peut dans certains pays dépasser 36 mois (France, Pays Bas) ». En outre « Sur 15 pays étudiés, le taux de remplacement net moyen sur 5 ans dépasse 60 % du salaire pour 12 pays et dépasse même 70 % pour la moitié d’entre eux ». (Source : L’assurance chômage en Europe. Etude de 15 pays –Unédic, 12 juillet 2019).
3-4 Réhabiliter la médecine du travail
L’impact du Covid-19 a mis en relief la nécessaire réhabilitation de la médecine du travail. Cette dernière a pour but, il faut le rappeler, d’assurer aux travailleurs les meilleures conditions en matière d’hygiène, de sécurité et de santé au travail. Dans les entreprises économiques publiques qui ont mis en place cette importante activité, cette pandémie a permis de mesurer toute l’étendue de son utilité.
Certaines de ces entreprises ont mis en place, grâce à la médecine du travail, des dispositifs de dépistage et de prévention selon des protocoles sanitaires conformes aux préconisations du ministère de la santé. Ces dispositifs vont de la prise de la température des travailleurs à leur arrivée sur les lieux de travail à la prise en charge des frais des tests de tout travailleur « suspect », c’est-à-dire présentant des symptômes ou ayant été en contact avec un autre travailleur testé positif. Cette prise en charge est financée par l’entreprise dans le cadre de la médecine du travail et d’un conventionnement avec un laboratoire d’analyse.
Par ailleurs ces dispositifs ont prévu, en plus des mesures de distanciation sociale, la distribution quotidienne de bavettes à tous les travailleurs et la mise à leur disposition de solutions hydro alcoolique.
Les résultats obtenus sont très encourageants comme en témoigne le nombre de cas dépistés et mis en isolement et mis sous traitement.
En attendant la valorisation de ces expériences et la capitalisation de leurs bilans, La généralisation de la médecine de travail là où elle n’existe pas, notamment dans la fonction publique (cas des secteurs de l’éducation, de l’enseignement et de la formation…) et dans le secteur privé, s’impose.
Par ailleurs Il est aussi possible et recommandé de mettre en place, dans chaque entreprise et chaque organisme employeur, un dispositif multilatéral financé conjointement par la médecine du travail (à la charge de l’employeur), la médecine sociale (à la charge des œuvres sociales), la mutuelle sociale (lorsqu’elle existe) et la Caisse nationale de sécurité sociale des salariés (CNAS) pour prendre en charge les travailleurs et leurs familles contre les conséquences sanitaires du covid-19 et à toute autre future crise.
4- Conclusion
Comme développé plus haut, la nécessaire relance exige l’accompagnement par l’Etat, notamment en matière de trésorerie, des entreprises impactées par l’épidémie. Les pertes de revenus de travail sont estimées à 1200 milliards dont 400 à 450 milliards de DA restent à mobiliser par l’Etat, pour compenser la perte du pouvoir d’achat des travailleurs du secteur informel et du secteur économique public et privé.
Cette aide aux entreprises et cette compensation de la perte de revenus des travailleurs sont essentielles pour éviter la paupérisation de pans entiers de la société et pour la relance économique et sociale par l’augmentation de l’offre et de la consommation.
Cette compensation, au demeurant partielle, peut être consolidée par une augmentation substantielle du SNMG en 2021, qui aura pour effet, non seulement l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs, la relance de la consommation et l’amélioration de la viabilité financière des caisses de sécurité sociale, dont la CNR et la CNAC.
L’Algérien doit être, dorénavant, placé au centre du développement, et le centre de gravité de la politique économique doit être déplacé vers l’économie productive, créatrice d’emplois durables. Une telle politique n’est possible que si l’Etat joue pleinement son rôle historique de locomotive du développement, secondé par un secteur privé créateur de richesse et respectueux de la législation fiscale et sociale.
Le potentiel de ressources, pour financer la relance post Covid-19 et la relance économique est important. L’existence de réserves de changes à hauteur de 45 milliards de $, de ressources pétrolières non épuisées et de ressources minières non exploitées, de recettes fiscales ordinaires additionnelles potentielles d’au moins 1 000 milliards de DA, le possible recouvrement d’au moins 3 500 milliards de DA de recettes non recouvrées (hors amendes judiciaires), l’instauration d’un impôt sur les fortunes, sont autant de chantiers à mettre en œuvre au profit de la relance, du développement et de la cohésion sociale.
N. B.