Cette contribution a pour but d’évaluer l’impact de la pandémie du Covid-19 sur le monde du travail en Algérie. La première partie s’intéresse aux effets de cette crise sans précèdent dans le monde et l’impossibilité du capitalisme international d’apporter des réponses aux besoins des populations dans le domaine sanitaire et social. La deuxième partie décrypte l’Etat des lieux en Algérie durant la période pré-Covid-19. Elle met en évidence la précarité qui caractérise une très grande partie des travailleurs algériens et la sensibilité de leur niveau de vie aux effets de la crise. La troisième partie aborde l’impact du Covid-19 sur le triple plan sanitaire, économique et social et jette un regard critique sur la réponse apportée par les autorités pour limiter ses effets. Des propositions sont apportées par l’auteur pour améliorer la résilience économique et sociale face au Covid-19 ainsi qu’une relance réussie. Deux chapitres particuliers sont consacrés à la réhabilitation de l’assurance chômage (et du statut de la CNAC) ainsi que de la médecine du travail. La dernière partie est réservée à la conclusion.
Par Nouredine Bouderba, Syndicaliste, Expert en questions sociales
Première partie
La pandémie du COVID-19 a provoqué la plus grave crise sanitaire, économique et sociale depuis la Seconde guerre mondiale. Ses effets immédiats sur la santé sont dramatiques. Pour la seule année 2020, le nombre de victimes est estimé à plus d’un million huit cent mille (1 800 000) victimes, en plus de 82 millions de personnes contaminées.
Sur le plan économique, le dernier rapport du CNUCED (novembre 2020) prévoit une contraction de 4,3 % de l’économie mondiale et avertit que « la crise pourrait plonger 130 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté». Le rapport souligne que « l’organisation même de l’économie mondiale est en partie responsable de l’impact disproportionné sur les plus pauvres, qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour résister à des chocs, tels que la COVID-19 ».Les effets de la pandémie, aggravés par les inégalités économiques, ont détruit une bonne partie des moyens de subsistance dans le monde, porté atteinte à l’éducation des jeunes, engendré une augmentation de la violence faite aux femmes, et entraîné une hausse de la pauvreté et de la faim dans toutes les sociétés. La CNUCED estime que le taux de pauvreté dans le monde, 8,6 % en 2018, devrait augmenter pour la première fois depuis trente ans et être porté à 8,8 % en 2021.
Les mesures de prévention contre la COVID-19 ont occasionné des pertes de revenus et d’emplois considérables, surexposant particulièrement les populations vulnérables. Selon l’OIT, pour l’année2020, les pertes en heures de travail devraient s’élever à 10,9 % par rapport à l’année 2019, ce qui équivaut à 311 millions d’emplois à temps plein (ETP) (Observatoire de l’OIT : le COVID 19 et le monde du travail. Sixième édition, 23 septembre 2020).
Les pertes en revenus du travail ont impacté de façon disproportionnée les travailleurs du monde. Elles sont les plus importantes pour les travailleurs dans les économies émergentes et en développement, en particulier ceux évoluant dans l’économie informelle. Dans les économies en développement, les possibilités de télétravail sont plus limitées et les travailleurs sont impactés de manière beaucoup plus importante que les travailleurs des économies les plus avancées.
Les conséquences seront encore plus lourdes sur les travailleurs informels, plus nombreux dans les pays en développement. Ces travailleurs non protégés, dont les travailleurs indépendants, les travailleurs précaires et ceux de l’économie des petits boulots, qui n’ont pas accès aux dispositifs de congé maladie et de congés payés, sont moins protégés par les mécanismes conventionnels de protection sociale et autres formes de stabilisation des revenus. On estime que 1,6 milliard de travailleurs de l’économie informelle – 76 pour cent de l’emploi informel dans le monde – ont subi des effets importants de la crise (OIT 2020b).
Dans chaque pays, certaines catégories sociales sont plus vulnérables que le reste de la population. Il s’agit des personnes ayant des problèmes de santé sous-jacents, des jeunes qui connaissent déjà de forts taux de chômage et de sous-emploi, des femmes qui sont surreprésentées dans les secteurs les plus touchés (comme les services) ou dans les professions qui sont en première ligne pour gérer l’épidémie (les médecins et les infirmières par exemple). Enfin les travailleurs migrants figurent parmi les personnes plus durement touchées par la crise.
Les pertes en heures de travail se traduisent par un accroissement du chômage et de l’inactivité, cette dernière augmentant de manière plus importante que le chômage. Cette hausse de l’inactivité constitue une caractéristique essentielle de la crise actuelle de l’emploi qui nécessite une attention soutenue en termes de politique.
L’impact sur l’emploi entraîne de larges pertes de revenu pour les travailleurs. Dans le monde les pertes globales de revenu du travail devraient se situer, pour les seuls trois premiers trimestres 2020 par rapport à la même période de 2019, autour 3 500 milliards de dollars. La perte de revenus du travail va se traduire par une plus faible consommation de biens et de services, ce qui est préjudiciable à la pérennité des entreprises et à la résilience des économies (OIT rapport sur les salaires 2020-2021).
La pandémie a aggravé les inégalités dans le monde
La crise a touché de manière disproportionnée les travailleurs faiblement rémunérés, en aggravant les inégalités salariales. Selon le rapport de l’OIT cité ci-dessus, la baisse du nombre d’heures travaillées a eu un impact sur les métiers peu qualifiés, en particulier les professions élémentaires, plutôt que sur les métiers d’encadrement et sur les emplois qualifiés mieux rémunérés. Dans certains pays européens, le rapport estime que, sans les subventions salariales, la moitié des travailleurs les moins bien rémunérés auraient perdu environ 17,3 pour cent de leur salaire, ce qui est, de loin, supérieur à la baisse d’environ 6,5 pour cent qui serait enregistrée pour l’ensemble des travailleurs. En conséquence, la part de la masse salariale totale de celles et ceux qui se situent dans la moitié inférieure de la distribution des salaires – qui permet de mesurer les inégalités – aurait baissé d’environ 3 points de pourcentage, de 27 à 24 pour cent sur la moyenne de la masse salariale totale, alors que, de son côté, la part de la moitié supérieure de la distribution aurait augmenté de 73 à 76 pour cent.
Selon le même rapport, de nombreux pays ont introduit des subventions salariales ou encore ils ont étendu celles qui existaient déjà, afin de sauvegarder des emplois durant la crise. Sur un échantillon de 10 pays européens, il est estimé que les subventions salariales ont permis de compenser 40 pour cent des pertes en termes de masse salariale totale, y compris la chute de 51 pour cent de la masse salariale causée par la baisse du nombre d’heures travaillées. Les subventions salariales ont également permis de modérer les effets de la crise sur les inégalités en matière de revenus, en raison du fait que les principaux bénéficiaires étaient aussi ceux qui ont été les plus touchés par la crise, en l’occurrence les travailleurs occupant les emplois les moins rémunérés.
La pandémie a mis à nu un monde inégalitaire et injuste …
Si la pandémie a impacté négativement la vie du commun de l’humanité, notamment sur le plan financier, cela n’a pas été le cas pour les plus aisés. D’après la dernière mise à jour de l’Indice des milliardaires de Bloom¬berg, ce 16 décembre, les cinq hommes les plus riches du monde, Jeff Bezos, Elon Musk, Bill Gates, Bernard Arnault et Mark Zuckerberg, se sont enrichis de 237 milliards de dollars durant l’année 2020, période au cours de laquelle a sévi la pandémie .
Dix jours après, le 26 décembre 2020, le magazine américain Forbes Middle East nous apprend, dans son dernier classement que la fortune de l’homme d’affaires algérien, Issad Rebrab, accumulée principalement en Algérie, a augmenté de 3,3 milliards de dollars pour atteindre en décembre 2020 le montant de 7,5 milliards de dollars. Ce gain de 3,3 milliards de dollars équivaut à 400 milliards de dinars, soit le tiers des pertes occasionnées par la COVID-19 aux 11 millions de travailleurs algériens, tous statuts confondus.
Cette répartition injuste des richesses créées découle de l’organisation inégalitaire du monde. Le Rapport sur les inégalités mondiales 2018, publié par WID. world, qui repose sur le travail de collecte, de production et d’harmonisation de données sur les inégalités, réalisé par plus d’une centaine de chercheurs basés sur tous les continents nous révèle que « Du fait des inégalités prononcées et grandissantes au niveau national depuis 1980, les 1 % d’individus les plus riches dans le monde ont capté deux fois plus de croissance que les 50 % les plus pauvres », avant de conclure avec cette affirmation sur laquelle il y a lieu de méditer :
« Les inégalités économiques sont en grande partie le fait de l’inégale répartition du capital. Celui-ci peut être détenu, soit par le secteur privé, soit par le secteur public. Nous montrons que, depuis 1980, de très importants transferts de patrimoine public à la sphère privée se sont produits dans presque tous les pays, riches ou émergents. Alors que la richesse nationale a augmenté de manière substantielle, la richesse publique est aujourd’hui négative ou proche de zéro dans les pays riches. Cette situation limite vraisemblablement la capacité d’action des États contre les inégalités, et elle a assurément des conséquences importantes pour les inégalités de patrimoine entre individus ».
Ainsi, durant ces dernières décennies, les détenteurs de patrimoine privé se sont enrichis, mais les États se sont appauvris. De ce fait, la capacité des Etats de réguler l’économie, de redistribuer les revenus et de freiner la croissance des inégalités se trouve réduite.
C’est ce qui explique le rôle limité du secteur public de l’emploi, ainsi que les contraintes budgétaires rencontrées pour la mise en place de mesures de soutien face à la COVID-19. Ceci est particulièrement vrai pour les pays émergents et en développement, notamment l’Algérie.
L’impasse du capitalisme mondial et son impossibilité à protéger les populations et à répondre à leurs besoins face à la crise…
Cette affirmation est vérifiée notamment par le fait que des Etats très riches n’ont pas été capables de mettre leur puissance économique et technologique au service de la préservation de la vie et de la santé de leurs populations. A titre illustratif et non exhaustif, il est intéressant de noter qu’au 31 décembre 2020, les Etats-Unis et le Brésil, réunis, ont enregistré le tiers des décès dans le monde et le tiers des personnes contaminées, alors que les populations de ces deux pays ne comptabilisent qu’un habitant de la planète sur quinze. Ce bilan malheureux n’est pas une fatalité tombée du ciel, mais il est dû, en grande partie, aux choix opérés par les gouvernements de ces pays de privilégier la protection du capital avant, et souvent, au détriment de la vie et de la santé de leurs populations.
Dans beaucoup de pays, les gouvernements, privilégiant le capital, ont voulu faire porter aux travailleurs, aux fermiers et aux personnes vivant dans la précarité, le poids insupportable de cette crise sans précèdent. Le 26 novembre 2020, la plus grande grève de l’histoire qu’a eu à connaitre l’humanité est déclenchée en Inde. 250 millions d’agriculteurs et de fermiers, rejoints par les ouvriers du charbon, des minerais de fer et métal, les transporteurs, ainsi que de très nombreux travailleurs du secteur informel, ont entamé une marche vers New Delhi.
Au menu de leurs revendications, le « retrait total de la loi anti-fermiers, votée en septembre 2020 qui, si elle était mise en œuvre, aura pour résultat de déposséder la petite et moyenne paysannerie de ses moyens de subsistance, le retrait de la loi anti-ouvrière votée en mai 2020, qui suspend pour trois ans l’essentiel des dispositions du code du travail et étend le temps de travail quotidien à 12 heures. A ces deux revendications, s’ajoutent l’annulation de la privatisation d’entreprises publiques majeures, et une aide immédiate à la population qui souffre des difficultés financières, provoquées par la crise du coronavirus, ainsi que des années de politiques néolibérales.
Le mea-culpa du capitalisme …
« Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession,notre Etat-providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables, quand le destin frappe. ». Ce discours, datant d’avril 2020, quelques semaines après le déclenchement de l’épidémie, n’a pas été prononcé par un homme de gauche, mais par le président français Macron, qui s’est pourtant distingué, au lendemain de son investiture, par ses attaques en règle contre la protection du travail, l’assurance chômage et la retraite
En France, comme partout dans le monde dominé par le capitalisme international, la crise de la Covid-19 a mis en évidence l’incapacité du libéralisme de répondre aux besoins sociaux et de santé des populations, notamment en période de crise. Elle a montré que seuls les Etats disposant de moyens patrimoniaux et financiers, autrement dit d’un secteur public fort, peuvent agir contre les inégalités et faire face aux crises.
Repenser le monde : Cuba montre la voie…
Fin mars 2020, le bateau de croisière de la compagnie anglaise Fred Olsen, « MS Baemar », essuie plusieurs refus d’accostage de plusieurs pays des Caraïbes, ainsi que des États-Unis, pour transférer les croisiéristes. A son bord, 682 passagers et 381 membres d’équipages, dont cinq personnes qui ont été testé positives au nouveau coronavirus et 52 qui sont en isolement. Le 19 mars, sur sollicitation du chancelier britannique, Dominic Raab, Cuba accepte d’accueillir les croisiéristes en détresse et d’organiser leur transfert vers la Grande Bretagne. « Merci Cuba ! » : les messages de soulagement des passagers de MS Baemar ont coulé à flot sur les réseaux sociaux. Un geste de solidarité que ces derniers ne sont pas prêts d’oublier.
Cuba n’a pas hésité pour envoyer des médecins en Italie, en Jamaïque, en République dominicaine, à Saint-Kitts-et-Nevis et à Saint-Vincent-et-les Grenadines…
Par ces actions Cuba a montré qu’un autre monde, plus humain, fait de coopération et de solidarité et de progrès partagé, est possible. Un monde où la vie des Hommes, leur santé, leur épanouissement, leur amitié, figurent au centre du développement et de la coopération, et non l’individualisme et l’accumulation immorale des richesses.
Il reste à espérer que les vaccins annoncés, aux quatre coins du monde, voient le jour dans un avenir très proche, en quantité suffisante, et surtout accessibles à toutes les populations.
Deuxième partie
La situation pré-Covid-19 en Algérie
Avant d’aborder l’impact de la COVID-19 sur les larges couches de la population, notamment sur le monde du travail, et l’efficacité des mesures de protection prises par les pouvoirs publics, il serait intéressant de jeter un bref regard sur l’état des lieux en Algérie, à la veille de la pandémie, pour mieux juger la résilience de la population au choc sans précèdent de la Covid-19, sur le double plan économique et social.
Les barrières sanitaires et le verrouillage économique du pays, y compris la fermeture des frontières, sont venus aggraver une crise multidimensionnelle, résultat de l’impasse de l’orientation néolibérale du pays, entamée par la politique de remise en cause du développement national des années 1980, et accélérée par la soumission aux recettes du FMI durant les années 1990, pour finalement aboutir à la privatisation – prédation des années 2000.
A la veille de l’épidémie, plus de 60 % des Algériens consacraient plus de 60 % de leurs revenus à la satisfaction de leurs besoins en alimentation, alors que cette proportion se situe entre 10 et 20 %, dans la majorité des pays du monde. Un ratio qui nous indique que la majorité des Algériens vivent, soit dans la pauvreté, soit dans la quasi-pauvreté, c’est-à-dire qu’il leur suffit d’une importante augmentation des prix à la consommation ou d’une importante diminution de leurs revenus réels pour qu’ils basculent dans la pauvreté. Or, le confinement a eu pour principaux effets, comme nous le verrons par la suite, une diminution drastique des revenus des Algériens, accompagnée non seulement d’une augmentation des prix, mais aussi d’une augmentation très importante des dépenses sanitaires d’urgence, pour faire face à la Covid-19, du fait du désengagement de l’Etat.
Cette précarité, qui caractérise la vie des Algériens durant la période pré-Covid-19, est le fruit de la jonction de plusieurs facteurs dont nous pouvons citer à titre illustratif :
Un système de santé sinistré qui n’arrive pas à répondre aux besoins de la population…
La pandémie a mis à nu un système de santé incapable de répondre aux besoins de santé de la population, surtout en période de crise, et une inégalité d’accès à la prévention et aux soins. La remise en cause progressive de la gratuité des soins s’est traduite par un désengagement de l’Etat, un développement anarchique et non contrôlé du secteur privé, et par une inégalité criarde des Algériens devant la maladie.
L’hôpital public, véritable épine dorsale de tout système de santé performant, est caractérisé par le manque de médecins et d’infirmiers, de lits et de moyens de réanimation, et enfin de moyens d’exploration et de réactifs. Il est aussi caractérisé par l’irrationalité dans sa gestion, le virus de l’activité complémentaire qui détourne les compétences et les malades vers le secteur privé et décourage le personnel de santé.
Le secteur privé occupe la moitié des médecins formés en Algérie, mais il est présent surtout dans les villes côtières du nord, en investissant dans les activités rentables financièrement et en opérant dans un cadre de déréglementation généralisée ou il est observé une absence totale de contrôle de ses prix et une insuffisance criarde de contrôle sur les normes. Aujourd’hui un Algérien, payé au salaire moyen (40 000 DA) doit débourser entre une fois et demie et trois fois son salaire journalier pour une consultation d’un médecin spécialiste libéral contre 40 % du revenu journalier moyen d’un salarié français.
Cette situation a amplifié l’importance de ce que l’OMS désigne sous le vocable de « dépenses de santé catastrophiques », poussant de plus en plus d’Algériens au renoncement aux soins pour raison financière. Ceci, au moment où la nomenklatura se soigne à l’étranger ou dans des cliniques privées en Algérie, aux frais de la sécurité sociale financée par les travailleurs.
Des salaires bas, les plus bas du bassin méditerranéen…
En 2019, la part des salaires dans le PIB, qui s’élevait à 34,5 % en 1993 et à plus de 40 % durant les années 1980, est inférieure à 28 % contre 40,5 % en Tunisie et plus de 50 % dans les pays développés. Et encore, cette moyenne cache mal une distribution injuste, puisque le rapport salaires max-min est de 35 en Algérie contre 10 à 12 dans les pays développés.
Selon les deux derniers rapports sur les salaires 2018-2019 et 2020-2021, publiés par l’OIT, la croissance du salaire réel moyen en Algérie a été négative sur la période 2000 ‐ 2017(‐4,4 %) et en 2018 (-2.6 %). Ce recul est dû essentiellement à la stagnation en valeur nominale du SNMG durant 8 années. Mais, en valeur réelle, ce dernier a reculé (-2.6 %) sur la période 2010‐2019,malgré une croissance annuelle moyenne de la productivité positive (+ 0,6%).
Des prix internationaux hors de portée de l’Algérien lambda…qui justifient les subventions
Les salaires des Algériens sont tellement bas, qu’il leur est impossible de faire face aux prix internationaux des produits essentiels, notamment alimentaires et énergétiques. Si la majorité des Algériens (et non 10 ou 20 %) n’a pas sombré dans la pauvreté, c’est grâce à la subvention des produits alimentaires budgétisée et grâce à des prix énergétiques locaux, calculés en référence à leur coût de revient local et non au prix international, comme le font le FMI et la Banque mondiale (BM). Dans les pays producteurs de pétrole, le calcul du prix à la consommation de l’énergie, sur la base de son coût de production local, permet de faire bénéficier la population locale de la rente, alors que pour le FMI et la BM, le calcul de ce prix devrait être effectué par rapport au prix international. Ce qui permet aux compagnies pétrolières de capter la totalité de la rente, quitte à appauvrir les populations locales.
Les défenseurs de l’ordre libéral avancent, sans jamais apporter le moindre argument, que les produits subventionnés en Algérie (céréales, lait, carburants etc.…) sont bradés à des prix qui encouragent leur gaspillage. Or, contrairement à la propagande et à une idée largement répandue, il faut savoir, par exemple, que la même quantité de travail est nécessaire à un Algérien et à un Français, payés tous les deux au salaire minimum, pour acheter une baguette de pain (soit 5 minutes de travail). Mais, pour un sachet de lait, il faut 13 minutes de travail pour un smicard Algérien contre 6 minutes seulement pour le Français. Pour un plein d’essence (50 litres), un smicard Algérien y consacre 10 % de son salaire, alors qu’un Français n’y consacre que 5 %. Doit-on considérer que ces produits sont bradés en France et que leurs prix encouragent le gaspillage ?
Une politique fiscale injuste…
La politique fiscale, en Algérie, ne se conforme pas au principe d’égalité des citoyens devant l’impôt. Progressivité insuffisante, non-imposition du patrimoine et des grosses fortunes, multiples exonérations et abattements, niveau très élevé de l’impôt non recouvré, évasion fiscale, caractérisent la politique fiscale en Algérie.
Phénomène unique au monde, la contribution des salariés au budget de l’Etat dépasse, depuis 2011, celle des entreprises. Le montant de l’IBS qui en 2009, représentait 124 % celle de l’IRG sur salaires, n’en représente que 50 % en 2019. De la même façon, le montant de l’impôt sur le revenu des libéraux et indépendants ne représente plus, en 2019, que 11.9 % celui de l’IRG sur salaire, alors qu’il y représentait 24.5 % en 20091.
En 2019, l’IRG sur les salaires en Algérie représente3,46 % du PIB contre une moyenne de 0,1 % en Afrique (0,4 % en Tunisie, par exemple),0,2 % du PIB dans les pays de l’Amérique Latine et les Caraïbes (0,6 % au Brésil et 1,4 % pour le Costa Rica) et 0,4 % en moyenne pour les 36 pays de l’OCDE (0,7 % pour le Canada et 1,5 % pour la France)1.
A contrario, les recettes de l’Impôt sur les bénéfices des sociétés ne pèsent pas beaucoup en Algérie, comparativement au reste du monde. En 2019, elles représentent l’équivalent de 1,9 % du PIB contre 2,5 % en Tunisie, 4,7 % au Maroc et 2,8 % en moyenne dans les pays africains1.
Pour terminer sur ce chapitre de la fiscalité qui présente, pour le trésor algérien, un potentiel de recettes supplémentaires important, il faut noter que l’impôt sur le patrimoine représente un millième de pour cent du PIB (0,00011%) en Algérie contre 0,3 % en Tunisie, 1,6 % au Maroc et 4,1 % en France1.
1 : Sources : Données : Ministère de Finances et ONS (décembre 2020) pour l’Algérie – OCDE (décembre 2020) pour autres. Calculs de l’auteur (BN).
Un chômage à la hausse que les autorités arrivent de plus en plus mal à masquer. Le dernier rapport publié par l’ONS, en mai 2019, nous donne une population en chômage qui s’élève à 1,5 million, correspondant à un taux de chômage de 11,4 %, dont 442 000 jeunes âgés de 16 à 24 ans (soit un taux de 26,9 % pour cette catégorie).
Toutefois, il faut noter que le nombre réel des chômeurs est largement sous-estimé par les statistiques officielles, du fait de la manipulation du taux de la population active, qui permet d’ajuster le taux de chômage aux désirs des politiques. A ce titre, l’examen des différents rapports de l’ONS fait ressortir que le taux d’activité des jeunes (population active âgée de 16 à 24 ans rapportée à la population totale de cette tranche d’âge) est passé de 37 % en 2000 à 29,3 % en 2010, puis à 25 % en 2019. Si l’ONS avait, en 2019, pris le même taux d’activité des jeunes de l’année 2000 (soit 37 %), le taux de chômage de cette catégorie aurait été, non pas de 26,9 % comme retenu en mai 2018, mais de 50.3 %,et le taux de chômage global s’élèverait à 16,44 %.Par genre, cela aurait donné une femme sur trois et 3 jeunes filles sur quatre en chômage.
Ce niveau de chômage important trouve son explication dans l’absence d’une politique d’emploi durable, adossée à une économie productive, la politique d’austérité menée depuis 2015 et, enfin, dans des dispositifs d’aide à l’emploi non viables, inefficients, et en inadéquation avec la réalité économique, en plus d’être gangrénés par le clientélisme et la mauvaise gestion.
Par ailleurs, le gouvernement s’est engagé, en 2019, à intégrer sur une période de trois années, soit au 31 décembre 2021, 365 000 bénéficiaires du pré-emploi dans les administrations publics, dont 160 000 en 2019 et 105 000 en 2020. Il ressort qu’à la fin décembre 2020, le nombre des jeunes intégrés a atteint à peine 20 221, soit un taux de réalisation de 5,5 %, alors que l’objectif fixé à cette date est de 72,6 %.
Enfin, il est important de rappeler que cet état des lieux de l’emploi concerne la période pré-Covid-19 et que la pandémie est venue aggraver substantiellement et dont l’impact réel reste à évaluer.
N. B.
La deuxième partie dans notre prochaine édition