En mars 2009, l’ex-Forum des Chefs d’Entreprises (FCE) et les pouvoirs publics de l’époque, annonçaient, tambours battant, l’adoption d’un code de bonne gouvernance des entreprises, perçu tantôt comme une charte pour en finir définitivement avec le marché parallèle, tantôt, comme un gage d’équité, de transparence, de responsabilité et de confiance qui permettront une croissance, une rentabilité et une pérennité des entreprises algériennes, publiques et privées, sur le marché national et international.
Par Salem Ait Youcef, Doctorant en Droit à l’université Panthéon-Assas Paris II
Ce code, qui fut élaboré à la demande des associations patronales, dont le chef de file est le Forum des chefs d’entreprises (FCE), avec la bénédiction des pouvoirs publics qui ont accepté de contribuer à son élaboration, se donnait comme ambition « d’inaugurer un processus de promotion de la gouvernance d’entreprise et de susciter un débat élargi sur les jalons ultérieurs possibles en la matière », pour ainsi paraphraser la déclaration du ministre des PME et de l’Artisanat de l’époque. Qui se souvient aujourd’hui de ce Code et à quoi a-t-il servi durant les années qui ont suivi son adoption où la corruption et la rapine ont gangréné comme jamais une économie qui subissait le diktat d’une prédation économique sans égal ?
Les dérives financières, les affaires de corruption et la dilapidation des deniers publics qui donnent lieu, ces dernières années à des procès judiciaires interminables, suffisent pour comprendre que ce code de bonne gouvernance, paradoxalement promu et adopté par des oligarques et des personnalités officielles majoritairement cités dans des affaires de corruption et de blanchiment d’argent, était totalement inopérant.
Gouvernance genèse et définition
D’aucuns n’ignorent que la bonne gouvernance ne rime qu’imparfaitement avec la prédation économique. En effet, la cohabitation est aussi impossible qu’impensable entre, d’un côté, un système basé sur la prédation économique qui, loin de son acception rigide et marxiste, est tellement destructrice qu’elle anticipe la destruction des entreprises, le détournement de fonds publics pour valoriser une concurrence étrangère et la favorisation des importations et la sous-traitance étrangère pour encercler des concurrents nationaux et, d’un autre côté, un système basé sur la bonne gouvernance lequel favorise des mécanismes rendant incontournables les valeurs fondamentales de transparence, de responsabilité financière, d’équité et de responsabilité pour que les entreprises puissent obtenir et conserver la confiance des investisseurs, des divers acteurs, et de la société dans son ensemble.
Le concept de «gouvernance d’entreprise» s’inscrit depuis quelques années comme une nouvelle réalité de la gestion. L’origine du thème se situe dans l’analyse de Berle et Means (1932). Le terme gouvernance apparaît en 1937 dans un article de Ronald Coase, intitulé «The nature of the firm». Dans les années 1970, d’autres économistes ont commencé à définir la gouvernance comme étant la mise en œuvre de dispositifs visant à mener des coordinations internes en vue de réduire les coûts de transaction que génère le marché. Toutefois, ce n’est qu’en 1997 que le terme «bonne gouvernance d’entreprise» prend racine alors que la Banque mondiale reconnaît que le marché ne peut assurer une allocation optimale des ressources et réguler les effets pervers de la mondialisation des marchés alors que sévit une crise dans le Sud-Est asiatique. L’arrivée de l’épithète «bonne» est bien sûr connotée d’une référence normative dont le caractère idéologique deviendra manifeste. Mais, le thème «gouvernance d’entreprise» a pris récemment toute sa pertinence, tant dans les préoccupations des acteurs économiques et des chercheurs issus de différents champs disciplinaires (droit, économie, gestion, science politique, etc.)
La gouvernance produit des normes, comme le souligne si bien le Pr. français Bernard Hours. Pour aborder la gouvernance, bonne par nature, une nature interpellée dans cette livraison de L’homme et la société, on peut distinguer deux postures d’approche. La première consiste à inscrire les analyses dans le cadre prescrit, celui de la bonne gouvernance pour critiquer des insuffisances, proposer des améliorations des performances économiques, sociales, démocratiques d’optimisation. La seconde plus radicale, s’attaque au concept, à ses usages, comme aux présupposés que nous propose la bonne gouvernance : avec quels objectifs, pourquoi et comment ? Les deux démarches ne sont pas totalement exclusives. Il s’agit bien évidemment de normaliser, c’est-à-dire de réformer selon l’incantation contemporaine partout diffusée et bien partagée, sauf par les gestionnaires récalcitrants dans les pays sous-développés, qui n’auraient pas compris à quel point l’ajustement permanent requis des entreprises performantes est aussi un merveilleux projet social, certes un peu inégalitaire, mais tellement dynamique et mobilisateur.
Loin d’être un concept philosophique, la bonne gouvernance promeut un nouveau mode de gestion des affaires qui concerne des domaines aussi différents que les entreprises, les politiques publiques, le développement des pays « sous-développés » ou l’ordre politique mondial.La gouvernance d’entreprise (corporategovernance) est pourtant beaucoup plus pragmatique qu’un texte de loi et elle est directement liée à la pratique managériale. Il en existe une multitude de variantes programmatiques et pratiques, mais ce sont ses principes qui nous intéressent ici. Ces principes, aussi clairement affichés que les principes du FMI, se trouvent particulièrement bien synthétisés dans un rapport sur la CorporateGovernance de l’International Federation of Accountants (IFAC) déjà publié en 2009, qui conclut en douze commandements de la bonne gouvernance afin de développer ce que l’on appelle un « capitalisme stakeholder » basé sur la recherche de compromis entre les intérêts concurrents des parties prenantes en passant par la répartition des droits et responsabilités entre les divers acteurs de la vie de l’entreprise, tels que le conseil d’administration, les dirigeants, actionnaires et autres stakeholders ( parties prenantes).
Les entrepreneurs et les gestionnaires d’entreprises gagneraient mieux de comprendre que la gouvernance d’entreprise implique, aujourd’hui, un ensemble de relations entre la direction d’une entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et les autres acteurs économiques. Cette gouvernance garantit également la structure au travers de laquelle les objectifs de l’entreprise sont définis et qui veille à ce que les moyens d’atteindre ces objectifs et le contrôle des performances soient déterminés. Ceci passe nécessairement par la réunion de plusieurs conditions, dont certaines sont inspirées des recommandations du FMI et de l’OCDE, lesquelles sont aussi importantes les unes que les autres: l’indépendance des gestionnaires ou des administrateurs, l’intégrité, la reddition de comptes, la planification stratégique, la transparence, l’équité et l’équilibre, le respect de l’environnement et la flexibilité.
Conditions d’une bonne gouvernance
L’indépendance des gestionnaires et/ou administrateurs, veut dire que les gérants ou les membres du conseil d’administration d’une entreprise doivent être réellement indépendants et avoir les coudées franches pour protéger les intérêts généraux de l’entreprise. L’indépendance doit, notamment, s’exprimer par le recrutement d’administrateurs qui n’ont aucun lien avec les dirigeants ni aucune relation d’affaires avec l’entreprise. Il est temps donc, que les entreprises algériennes, particulièrement celles à capitaux privés à prédominance familiale, de se mettre à niveau pour faire face à la concurrence et il revient à leurs propriétaires d’insuffler une nouvelle dynamique d’ordre managérial. Sortir du contexte familial assurera certainement à ses entreprises la continuité, la loyauté du personnel, la connexion et la liberté de gestion, lesquels sont des facteurs indispensables pour que les entreprises familiales puissent faire face à l’ouverture de l’économie. Néanmoins, cette indépendance totale dans la gestion n’écarte pas l’obligation de la reddition de comptes, aussi bien aux actionnaires qu’aux autres «parties prenantes», c’est-à-dire, le public, les clients, les fournisseurs et la communauté.
La bonne gouvernance repose également sur l’intégrité qui impose aux gestionnaires d’entreprises d’agir selon des valeurs et des principes dont dépendent la confiance et la gestion efficace. L’intégrité impose donc de conserver cette confiance en faisant preuve d’intégrité dans toutes les actions à conjuguer avec un respect rigoureux des lois et les règles en vigueur.
S’agissant de la planification stratégique, il n’y a pas le moindre doute qu’elle est la clé de voute d’une gouvernance alliant la rationalité à l’efficacité. Ceci est d’autant plus vrai que la planification stratégique sert de carte, de feuille de route pour aider l’entreprise à trouver comment se rendre là où elle souhaite aller. Le processus comprend l’analyse des forces, des faiblesses, des opportunités et des menaces, ainsi que la planification des opérations futures d’une manière hiérarchisée et réaliste. Pour concevoir une bonne planification stratégique, les entreprises se doivent impérativement de déterminer les objectifs à court, moyen et long terme, analyser les facteurs internes ainsi que les facteurs clés du succès, envisager diverses options stratégiques pour remédier aux contraintes managériales, choisir l’option stratégique la plus idoine et la plus adaptée à l’entreprise et son environnement et, enfin, surveiller les résultats obtenus à chaque étape du processus de planification stratégique.
La transparence est par ailleurs un autre gage de bonne gouvernance dans la mesure où elle impose aux gestionnaires de faire preuve d’ouverture et de transparence avec toutes les parties prenantes, y compris le public, ses clients et ses fournisseurs. Cette transparence permettrait d’ailleurs, d’assurer l’équité et l’équilibre nécessaires à la bonne marche de l’entreprise.
Aussi, dans un monde de plus en plus porté sur les questions écologiques et environnementales et où le contraste est saisissant entre la gravité de la situation environnementale et climatique à moyen et long terme et la relative inertie dont témoignent les acteurs économiques, l’entreprise ne peut pas se vanter de bonne gouvernance si elle n’intègre pas le respect de l’environnement parmi ses priorités absolues.
Enfin, la flexibilité est l’une des conditions sine-qua-non de la bonne gouvernance pour peu qu’elle soit adaptée au contexte de l’entreprise et de son environnement économique, politique et social.
Ainsi-donc, il est nécessaire pour l’entreprise et, passant, pour l’entrepreneur algérien de s’inscrire dans des politiques de management mettant la bonne gouvernance d’entreprise au centre de tous ses intérêts. Ce changement dans le mode de gouvernance des entreprises devient aussi impératif qu’urgent surtout si l’on sait que les responsables du monde entier, réunis à la Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement (Monterrey, Mexique), reconnaissent qu’une réforme de la gouvernance d’entreprise est vitale pour les pays en développement qui cherchent à attirer les investissements et, partant, à renforcer leur économie. En marge de cette conférence qui s’est déroulée en mars 2002, soixante-quinze (75) chefs d’Etat originaires de pays développés et en développement s’entendirent sur le fait que “les flux de capitaux internationaux privés … sont des compléments essentiels aux efforts de développement nationaux et internationaux … Pour attirer et renforcer les entrées de capitaux productifs, les pays doivent poursuivre leurs efforts pour mettre en place un climat d’investissement transparent, stable et prévisible.… Des efforts spécifiques sont nécessaires dans des domaines prioritaires tels que … la gouvernance d’entreprise.”
Le futur des entreprises algériennes sera certainement meilleur que leur passé si elles consentent à relever le défi de la bonne gouvernance.
S. A. Y.