Alors qu’au Maroc et en Tunisie, l’agriculture bio connaît un succès certain, en Algérie, ce type d’agriculture marque le pas. En dépit des potentialités annoncées, son développement reste restreint, et ne répond pas, pour le moment, à nos préoccupations, et encore moins à nos habitudes de consommation. Le sachant en plein essor, le Maroc et la Tunisie développent ce secteur depuis plusieurs années. L’Algérie entame ses premiers pas en ce domaine, même si des spécialistes appellent à encourager et à le développer.
Par Réda Hadi
L’agriculture biologique (organique) en Algérie est un domaine prometteur au vu des capacités disponibles, selon les spécialistes qui appellent au développement de ce type de production agricole, à travers le renforcement de la sensibilisation quant à son importance pour l’environnement et la santé et l’appui des cadres juridiques la régissant, selon APS.
D’après la même source, plusieurs pays ont aménagé, durant les quatre dernières années, d’importantes superficies destinées à l’agriculture biologique, d’où l’importance pour l’Algérie de lancer une réflexion pour acquérir sa place dans cet important marché mondial, d’autant que l’agriculture organique est un «patrimoine» en Algérie qu’il convient de relancer. Dans ce cadre, Mme Doubi Magui, experte en certification des produits bio au programme d’appui à la diversification industrielle et à l’amélioration du climat des affaires «padica», financé par l’Algérie et l’Union européenne (UE), a affirmé dans une déclaration à l’APS que la valorisation de l’agriculture biologique en Algérie commence par l’accompagnement de l’agriculteur, précisant que « l’Algérie produisait des cultures biologiques non encore valorisées et non recensées».
En Algérie, si le marché bio est encore balbutiant, des magasins spécialisés proposent, depuis quelques années aux citadins, des paniers bios, fournis directement auprès de petits producteurs. Mais les surfaces cultivées ne dépassent pas les 1 200 hectares, avec 81 exploitations bio, selon le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement.
La Tunisie leader au Maghreb
Nous sommes encore loin des performances des Marocains et des Tunisiens. En Tunisie, entre producteurs et commerçants, le nombre d’intervenants dans le bio a été multiplié par 24 pour atteindre près de 8 000. Le nombre d ‘hectares dédiés est de 320 000 hectares certifiés, en 2020. Certaines fermes Bio ont vu leur chiffre d‘affaires explosé et multiplié par 5. Même la pandémie du coronavirus n’a pas eu d’effet marquant, puisque le bio a contribué à la dynamisation et à la diversification de l’économie et représente 13 % des exportations alimentaires, ce qui est important pour ce petit secteur. Les exportations ont quasiment triplé, passant de 36 000 tonnes en 2013 à près de 90 000 tonnes en 2020. Si la Tunisie figure au 30e rang mondial de l’agriculture bio, elle est la première en Afrique en termes de superficie certifiée et de produits exportés
Le Maroc autre concurrent
Le bio est encore en phase de décollage au Maroc malgré un essor certain avec 10 300 hectares de cultures bio en 2020 contre 4 000 en 2011. Pour l’essentiel, ce sont des cultures d’oliviers, d’agrumes et d’amandes dans les régions de Marrakech (sud-ouest), de Rabat (nord-ouest) et de Souss-Massa (sud). Le Maroc dispose aussi de près de 300 000 ha de cultures spontanées en plantes aromatiques et médicinales, comme l’arganier ou le cèdre.
Le ministère marocain de l’Agriculture prévoit d’atteindre les 100 000 ha de superficie cultivée d’ici à 2030 et une production de 900 000 tonnes par an, dont un tiers destiné au marché local et deux tiers à l’export. En 2020, sur près de 130 000 tonnes, environ 14 000 tonnes de produits frais (fruits et légumes) et transformés (jus d’agrumes, fraises congelées ou huile d’olive) ont été exportées vers l’Union européenne, le Canada, la Suisse ou les États-Unis.
L’Algérie l’autre pays du Bio
Terre, soleil, eau, l’Algérie a tous les atouts en main pour réussir à développer son Bio. Les potentialités sont si avérées que des investisseurs américains sont venus le 15 janvier dernier en Algérie pour explorer les opportunités de partenariat dans divers segments, particulièrement, le potentiel de produits biologiques et ont exprimé clairement leurs intentions de parvenir à des coopérations durables dans le but d’exporter vers l’international.
En l’absence d’un recensement exhaustif du nombre d‘hectares voués au Bio, ce créneau prend de plus en plus d‘ampleur, et certaines sources affirment que le ministère de l’Agriculture entame une étude pour poser les jalons de cette agriculture pour un plus grand encadrement et efficience.
Selon Mme Doubi, ce type d’agriculture nécessite la préparation des superficies agricoles sans aucun recours aux produits chimiques pendant une période allant de 1 à 3 ans, et la réalisation des analyses périodiques en laboratoire pour déterminer si le sol est adapté à cette agriculture, tout en utilisant des engrais naturels appropriés.
Quoiqu’encore embryonnaire, la culture bio en Algérie est sujette pour son développement, à une augmentation massive des surfaces à exploiter, à une plus grand prise en charge et à un accompagnement des agriculteurs. Il y a un potentiel et les agriculteurs algériens savent faire beaucoup de choses. Mais aujourd’hui il faut passer à un autre stade et produire plus. Il faut sortir de la petite ferme familiale et voir un peu plus grand pour, d’abord, satisfaire les besoins du marché local puis aller vers l’export des produits agricoles.
Radja Ahmed, Ingénieur agronome : «Il faut un label pour le bio»
La question Bio pour M. Radja Ahmed, ingénieur agronome et consultant à la FAO (Fonds des Nations Unies pour l ‘agriculture et l’alimentation), est une alternative qu’il faut savoir gérer et planifier. Il ne s’agit pas pour lui de vouloir mais de penser Bio. Cultiver Bio demande la mise en place de structures et d’un cadre légal, de labels et des contrôles.
EcoTimes : En Algérie, l’agriculture bio traîne des pieds, et pourtant, les potentialisé existent. Nous sommes loin des performances des Tunisiens ou Marocains. A quoi cela est-il dû ?
Ahmed Radja : Effectivement nous sommes à la traîne. Car le Bio est un véritable nouveau modèle de production (et de consommation) qui est promu et qui tient compte de la multiplicité des dimensions du développement de l’agriculture. L’émergence d’un nouveau modèle de croissance agricole respectueux de la nature, repose sur de nouveaux arrangements institutionnels entre l’Etat, les agriculteurs, les entreprises et la société. Ceci dit, l’agriculture algérienne standard souffre d’une sous-compétitivité durable et d’une faible intégration aux marchés extérieurs. Les politiques traditionnelles et les plans de développement agricole successifs n’ont produit que de maigres résultats au regard des potentialités et des besoins du pays. Face à un tel constat, l’agriculture biologique peut s’avérer une alternative intéressante pour valoriser les ressources locales, d’autant plus que le marché mondial ne cesse de croître, pour faire face aux crises alimentaires
De quoi avons-nous besoin pour réussir ?
Avant de se lancer dans le Bio, il y a tout un écosystème à mettre en place. Il faut, avant tout, distinguer la culture bio de la culture naturelle. Dans le bio, on n’utilise pas de pesticides. Nonobstant cela, nous devons avoir des organismes de certification, revoir notre système de production et de distribution. Le bio à un cahier des charges qu’il faut observer. Or, chez nous, par manque de formation, nos agriculteurs font du Bio d‘une manière empirique. Pour les éventuels convertis au bio, il faut savoir les accompagner et leur expliquer que pendant la conversion, qui durera 2 à 3 ans, le système de production ne sera pas nécessairement stabilisé (matière organique et vie du sol, régulation biologique des ravageurs) et que les rendements ne seront pas à leur rythme de croisière, outre que, sans label, il sera difficile d‘exporter. C’est une phase de transition technique, économique et sociale. Elle demande du temps, de l’énergie et des moyens.
Propos recueillis par R. H.