Plus d’un demi-siècle après l’indépendance du pays, l’économie algérienne demeure encore à la recherche de ses repères idéologiques. Donnant à chaque étape de son évolution, l’impression de naviguer à vue, le pays ou plutôt les dirigeants, ne semblent pas retenir les leçons, en faisant de l’improvisation l’outil essentiel de leur politique économique.
Par Lyazid Khaber
Auteur, Directeur de la Publication Eco Times
Là, il faut dire que les décideurs de l’époque n’avaient pas beaucoup de choix, eux qui se retrouvaient devant des difficultés énormes. La mise en place du cadre légal et réglementaire, la création des institutions et le passage à l’autonomie des entreprises algériennes ont pu être mis en pratique début des années 1990 dans une conjoncture où les pressions internationale et le poids de la dette cumulée n’offraient pratiquement aucune échappatoire à «la dictature libérale» imposée par les cartels occidentaux.
Par voie de conséquence, de nouvelles lois instituant l’ouverture de l’économie ont été pondue, lesquelles ont scellé une libéralisation, plus ou moins efficiente, du marché des biens et des services, les marchés monétaires et financiers et les relations de travail (loi sur le commerce extérieur, code des investissements, ordonnances relatives à la privatisation, ordonnance relative à la gestion des capitaux marchands de l’Etat…).
La dure épreuve de l’ajustement structurel
Toutefois, il faudra dire que ce processus n’a pas pu être achevé dans les conditions requises, d’où le flottement qui a suivi et qui n’offrait qu’une seule alternative à l’Algérie : celle de céder ou de rééchelonner sa dette auprès des institutions de BottonWood.
Etant donné la crise interne, tant politique qu’économique, les dirigeants ont opté, après tergiversation, pour la deuxième option. C’est ainsi, qu’un accord de rééchelonnement de la dette a été signé avec le Club de Paris et le Club de Londres (BIRD). Celui-là, et comme dans toute évidence, était accompagné d’un Programme d’ajustement structurel (PAS) dont l’application par l’Algérie est strictement contrôlée par le FMI, la Banque mondiale (BIRD) et l’Union européenne.
Conformément aux dispositions de cet accord, le gouvernement algérien avait bénéficié d’une facilité de financement élargie (FFE) d’une valeur de 1,8 M$. Cet accord qui est étalé sur une période de 3 ans a permis, avec l’accord de mai 1993, de remédier aux déséquilibres de la balance des paiements fortement affectée par la chute des cours des hydrocarbures et du poids de la dette extérieure.
Vient par la suite l’immixtion du FMI et les exigences parfois extravagantes de l’institution qui imposa des règles drastique à même d’achever le démantèlement des structures «résidentielles» de l’économie dirigée de l’époque socialiste. Ces mesures n’ont fait, en vérité, que déposséder l’Etat de ses infrastructures industrielles -fierté de l’époque socialiste- et enclencher un mouvement de privatisation mené d’une manière anarchique et sans conséquence notable pour la productivité. C’est pour cela justement que les tentatives de cession ou de prise de participation au capital sont restées limitées. L’investissement étranger direct est resté insignifiant.
Viennent après les opérations «mains propres» et de compression d’effectifs dans les entreprises publiques économiques, qui achèveront le reste des structures encore en vie à l’époque.
En somme, la décennie 1990 était un désastre pour l’économie algérienne. C’est, donc, à partir de 1990-2000, que les conditions commencent à s’améliorer. L’arrivée au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika, l’adoption de la loi sur la concorde, et puis celle de la réconciliation nationale, a pu redonner un semblant d’espoir aux investisseurs après plusieurs années de «guerre sans nom», et la mannes financières découlant des hydrocarbures qui entama son ascension à partir de l’an 2000, ont permis des tendances prédisposant le pays à une bonne tenue des équilibres macroéconomiques.
Une reprise «mal gérée»
Les chiffres enregistrés dénotent de cette nouvelle avancée. La croissance qui était de l’ordre de 3,2% en 1999 est passée à 5,1% en 2004. Le taux d’inflation, quant à lui, a été relativement maitrisé tant que les mesures prises ont donné des résultats immédiats renforcés par la rente pétrolière dont les dividendes se sont accrus. Ce qui, malheureusement, confirme une autre fois de plus la fragilité des équilibres économiques globaux dépendants exclusivement des exportations d’hydrocarbures et de la fluctuation des prix.
Toutefois, la situation économique et sociale marquée par un fort taux de chômage (17.7% en 2004), devra s’améliorer au fil des ans suite à la prise de mesures d’aide à l’insertion professionnelle et à la création d’entreprises tant dans le cadre des plans de relance économique (grands projets) que dans celui du soutien à l’emploi des jeunes (Ansej, Angem, Andi…) ; mais surtout par l’accélération de la mise en œuvre des réformes.
Concernant la production des industries électriques et la production de la branche énergie, on observe une croissance moyenne positive (de l’ordre de 5% par an) continue depuis 2000. C’est ainsi que plusieurs chantiers sont mis en œuvre dans plusieurs secteurs, avec en prime une préférence prononcée pour l’édification des structures de base et la construction des grandes infrastructures stratégiques.
Les secteurs des ressources en eau, les travaux publics, l’agriculture, l’énergie sont, entre autres, ceux qui ont bénéficiée d’investissements publics conséquents, toujours grâce à la rente pétrolière. D’où la prédominance de la dépense publique ces dernières années.
Aujourd’hui même, c’est encore un nouveau cycle de réformes qui est attendu. L’option libérale est d’autant plus confirmée que l’Etat ne cesse de consentir à des concessions à même de donner un nouveau souffle aux investissements privés et étrangers, lesquels bénéficient présentement de plusieurs facilitations. Mais, si l’Etat a consentit beaucoup d’investissements chiffrés en milliards de dollars, il faut dire aussi que la manne financière dont a bénéficié le pays depuis 2000, est loin d’être utilisée à bon escient. La raison est simple, si nous avons pu construire des logements, des routes, des aéroports, des universités (dont la qualité des travaux laisse encore à désirer), nous n’avons presque rien fait pour renforcer les bases de notre économie.
Les tentatives souvent illusoires et sans lendemain de redonner vie au tissus entrepreneurial et d’entreprises (particulièrement les PME/PMI) n’ont jusque-là donné aucun résultat probant. Le retour, ces dernières années à une sorte de «patriotisme économique» qui impose le partenariat national-étranger, n’a aussi fait qu’aggraver le déficit en investissements directs étrangers (IDE). Quant à la production nationale dont ne cessent de pérorer les responsables au gouvernement, elle tarde à s’imposer même sur le marché local. Preuve en est les exportations du pays qui demeurent encore dominées par les hydrocarbures.
Actuellement, rien -ou presque- n’a changé dans le fond ! Le constat est malheureusement le même que celui que nous avons fait sur les différentes périodes précédentes. Si ce n’est pas pire.
Une tare appelée «dirigisme»
Evoluant dans un monde globalisé, les vieux réflexes du dirigisme semblent avoir encore la peau dure. L’Etat qui accepte de s’ouvrir sur les marchés mondiaux (accord d’association avec l’Europe, adhésion à la Zone arabe de libre échange, engagement de négociations pour une adhésion à l’OMC…), tout en admettant sur son territoire l’émergence d’une économie capitaliste de marché, s’engouffre encore dans des considérations qui empêcheraient l’émergence d’une véritable économie libérale qui soit respectueuse des valeurs de la société et des intérêts stratégiques de la république.
A voir les décisions, démarches et même ce qui est désigné sous le label de «stratégie», on a l’impression que l’on est face à un véritable état de schizophrénie en matière de vision stratégique. L’instabilité dans la démarche demeure ainsi le dénominateur commun de toutes les initiatives du pouvoir. Les gouvernements qui se succèdent sont aussi instables que sont les stratégies qu’ils développent. Cette situation a maintenu l’Etat dans la sphère d’influence des marchés internationaux, si ce n’est, tout simplement, celle des puissances économique les plus agissantes à travers le monde.
Nos démarches sont tellement contradictoires les unes plus que les autres que nous avons présentement un climat des affaires insondables, des structures de gestion inefficaces et souvent inertes, un discours inconsistant et de moins en moins rassurant, mais surtout la certitude que lorsque le vent soufflera sur les cours de pétrole, la dégringolade, pour ne pas dire l’effondrement ne touchera pas que les prix du baril d’or noir, mais toute notre économie qui s’en trouve encore dépendante.
C’est ce qui s’est malheureusement vérifié. La baisse des prix pétrolier qui a entamé sa chute en 2014, tout en s’accentuant au cours de 2015 et début 2016, a révélé toutes les faiblesses de l’économie algérienne, finalement déstructurée. Le gouvernement, faute d’une vision claire et structurée, donnait même l’impression d’avoir été pris de court, alors que la crise pétrolière était prévisible depuis au moins 2008. Mieux encore, s’il est de nature que les prix de l’or noir sont sujets aux caprices boursiers, la nature mono-exportatrice de l’économie algérienne, a toujours été désignée par les experts comme la source de toutes les craintes.
Devant cet état de fait, l’on ne devra s’attendre qu’à des réactions, car en l’absence d’une stratégie durable et préventive, nous sommes face à un déficit criant en matière de prospective. La non prise en compte des avis d’experts ayant tiré la sonnette d’alarme depuis déjà plusieurs années, dénonçant au passage la gabegie érigée en règle dans la gestion des deniers publics et des finances de l’Etat, a fait que le Gouvernement est resté incapable de prendre des mesures courageuses face à la crise devenue inéluctable.
Ainsi, en juin 2014, alors que la dégringolade des prix du brut a entamé sa descente vertigineuse, les autorités publiques n’avaient pas de grandes marges de manœuvres pour agir à bon escient. La raison est simple: ce n’est pas le gouvernement qui était inconscient des risques encourus, au contraire ! Mais, tout le mal était dans l’orientation donnée à la politique économique de l’Etat, particulièrement à la dépense publique devenue insupportable pour le Trésor.
La charge sociale prend les allures d’une menace pesante, surtout que le besoin d’opérer des coupes budgétaires est devenu nécessité. Mais les autorités, prenant en ligne de compte les risques d’embrasement du front social, dans un contexte alimenté par la crise internationale, et les menaces induites par le «printemps arabe», ont choisi de puiser dans les réserves. Recours est donc fait au FRR (Fonds de régulation des recettes) et aux réserves de changes «planquées» dans des banques et autres fonds internationaux, particulièrement américains.
En effet, au premier semestre 2014 déjà, plus de 6 milliards de dollars ont été puisés du FRR, au moment où pratiquement tous les indicateurs économiques viraient au rouge. La Banque d’Algérie, dans sa note de conjoncture de Novembre 2014, était formelle. Durant cette période (1er semestre 2014), et au moment où les exportations d’hydrocarbures et les réserves de changes se contractent, la balance des paiements n’échappe pas à la règle, enregistrant un déficit inquiétant.
Les chiffres sont édifiants : la BA a fait état d’une contraction des ressources du Fonds de régulation des recettes (FRR), passées de 5.238,80 milliards de dinars fin 2013, à 4.773,51 milliards de dinars à fin juin 2014. Explication fournie par la BA de cette contraction : «la forte augmentation des décaissements au titre des dépenses d’équipements par rapport au premier semestre 2013, en situation de poursuite de la progression des dépenses courantes».
Ainsi, et sans possibilité de renouvellement des disponibilités du FRR, à cause de l’amenuisement des recettes pétrolières, les fonds se voient réduits en peau de chagrin. Pis encore, et parallèlement à cette baisse vertigineuse des recettes, la facture des importations du pays ne cessait de progresser.
Même cas pour les réserves officielles de changes, lesquelles se sont à leur tour contractées, durant ce premier semestre 2014. Celles-ci, et après une progression au second semestre 2013 à 194 milliards de dollars en fin de période, se sont vues réduite à 193,269 milliards de dollars à fin juin 2014.
Le train de vie de l’Etat, un gouffre budgétivore
Toutefois, et en dépit de cette situation pour le moins décourageante, le Gouvernement a pris encore deux ans pour réagir; car contraint d’opérer de vraies coupes budgétaires et d’économiser au maximum face à un nouveau choc pétrolier qui s’inscrivait dans le temps. Si l’année 2015 était caractérisée par l’annulation de certains projets non encore lancés, l’année 2016 par contre reste celle qui devrait sceller le sort de la politique dépensière des pouvoirs publics.
La réduction des dépenses de l’Etat est devenue une nécessité, et c’est ainsi que le gouvernement commence à parler de politique de rationalisation des dépenses, avec à la clé une loi de finances (LF 2016) qualifiée par l’opposition parlementaire de loi de l’austérité. Pourtant, de l’austérité il n’en n’est pas une, tant les coupes budgétaires décidées, ainsi que les quelques augmentations décidées pour réduire la marge des dépenses des subventions (hydrocarbures notamment) étaient très modestes. Le gouvernement qui tablait sur les réserves financières disponibles pour soutenir la dépense publique semblait encore croire à la providence en espérant que les prix du brut s’envolent comme par enchantement.
La relance est ainsi reportée pour les années qui viennent, au moment où les administrations publiques sont destinataires d’instructions fermes pour réduire leurs dépenses. Des solutions partielles, et toujours un discours rassurant face aux masse populaires à qui on promet une croissance de l’ordre de 4,6% pour 2017. Encore une fois l’illusion, car il va sans dire que jusque-là toutes les prévisions du genre ont été démenties de la manière la plus cinglante, sachant qu’en vérité la croissance réelle a été en moyenne de l’ordre de 3% depuis une décennie…
Extrait du livre Algérie, une économie qui se cherche
Lyazid Khaber, Spinelle éditions (mai 2020- France)