C’est sans doute dans le plein Sud- sur les massifs de l’Ahaggar et Tassili, à Erg Chech, dans le Touat et les plateaux d’Admer et Tidikelt- que l’Algérien cache le mieux son histoire ancienne, malgré l’adversité du climat et l’immensité du territoire. Les spécialistes en anthropologie et en ethnologie n’ont pas tort d’appeler le parc du Hoggar-Tassili «musée à ciel ouvert», et c’est le plus grand dans le monde.
(1ère partie)
Par Amar Naït Messaoud
Pour celui qui n’a pas approché les peintures rupestres du Sahara, il est difficile d’imaginer l’énorme étendue sur laquelle s’étalent autant de pièces, mémoire fertile et immarcescible du peuple algérien ; cette mémoire qui- depuis les Garamantes jusqu’au pérégrinations des porteurs du message de la tariqa Tidjani à travers la steppe et le sable des fleuves Niger et Sénégal, en passant par les caravanes allant de Tombouctou à Tlemcen- n’a pas cessé de recevoir de nouveaux apports fertilisant un terreau déjà deux fois millénaire.
Les données de la géographie physique placent l’Algérie parmi les pays les plus touchés par cette notion de désert. Sur l’ensemble de la superficie, presque deux millions de kilomètres carrés appartiennent au domaine désertique.
Sur le plan de l’histoire sociale et économique du pays, même si l’Algérie dispose de 1200 km de littoral, elle est plutôt orientée- comme ont eu à l’analyser des historiens de la culture- vers l’intérieur, mis à part les intermèdes phénicien et turc où la mer avait eu ses lettres de noblesse en matière de défense, d’échanges commerciaux et d’ambiance culturelle et sociologique
C’est en tout cas sur ces étendues que la première «humanité» algérienne est attestée par la science. L’énigme reste presque entière quant aux conditions qui ont permis l’éclosion d’une civilisation du Sahara plus de dix siècles avant les grandes civilisations de la Méditerranée.
Ce qui reste de cette vie de nos ancêtres sur les lieux mêmes de sa production est assez parlant pour nous dire un degré de perfectionnement peu soupçonnable de la société et de l’économie de l’époque.
Ce qui est contenu dans l’espace du Hoggar-Tassili comme vestiges, repères et empreintes d’une vie passée, nous interpelle à plus d’un titre dans une période où la culture, en tentant de se mondialiser, est astiquée et modelée selon les canons pervertis d’une civilisation globale, unique, uniformisante et stérilisante.
Pour garder une marge de manœuvre, un espace d’autonomie et une force d’expression de leur personnalité, les peuples ont un immense besoin de se ressourcer dans les temps anciens, temps où leur être collectif a commencé à se forger.
C’est armés de cette richesse et de la diversité qu’elle charrie qu’ils pourront rendre plus fructueux et plus humains les échanges imposés par la vie moderne.
Espace et temps sahariens
Le plus vaste espace du monde classé en parc est cette étendue qui regroupe, sur une superficie de 117 000 km2, les deux massifs du Tassili et Hoggar.
Le Tassili a été classé comme patrimoine mondial par l’UNESCO en 1982 et comme réserve de l’homme et de la biosphère en 1986. Ces deux entités orographiques et géomorphologiques constituent un territoire géant entouré par des océans de sable.
C’est indubitablement un lieu de l’éternité, de la solitude et de la méditation. La région du Hoggar -Tassili a inspiré des poètes, des romanciers et des peintres. Elle a surtout créé des vocations en matière de recherche historique et anthropologique dont certains en ont fait des sacerdoces.
C’est incontestablement le cas de Henri Lhote dont la vie se confond presque avec le travail qu’il a accompli sur ce qui témoigne de l’ancienne humanité ayant élu domicile dans le Sahara algérien.
Né en 1930, il effectua sa première expédition en 1936 avec une compagnie chamelière flanquée d’un guide local qui allait acquérir une renommée inégalée. Il s’agit de Jibril, guide vivant à Djanet et qui a passé toute sa vie au Sahara. Jibril mourut le 8 avril 1982 à l’âge de 81 ans.
Tous les chercheurs pris du désir d’étudier plus profondément l’héritage de la civilisation humaine du Sahara reconnaissent en Henri Lhote un pionnier de l’archéologie et de l’anthropologie physique du Sahara.
Avec les moyens rudimentaires du milieu du 20e siècle, où il n’y avait ni électricité, ni climatisation, ni transport mécanisé, il sillonnait les contrées les plus reculées, les anfractuosités les plus dissimulées et les pitons les moins accessibles de ces espaces qui, pour des profanes et béotiens, ne seraient que territoires hostiles et stériles.
Bien entendus, d’autres chercheurs, ayant ce statut ou se présentant sous un autre destin- comme Théodor Monod, René Lecrerc, le père Charles de Foucauld- ont un grand mérite dans l’exploration géographique, culturelle et ethnographique du Sahara algérien.
Des chercheurs algériens ont, eux aussi, fourni de grands efforts dans la connaissance de la culture de nos ancêtres du Sahara : Mouloud Mammeri, Nadia Mecheri Saâda, Slimane Hachi et Malika Hachid sont parmi les noms qui ont brillé dans ce domaine.
La dernière personne citée, Malika Hachid, a publié en 1998 un précieux ouvrage aux éditions Paris- Méditerranée sous le titre «Le Tassili des Ajjers, aux sources de l’Afrique, 50 siècles avant les pyramides».
Le massif du Tassili des Ajjers commence autour de la ville de Djanet et prend une orientation nord-ouest jusqu’à Amguid. Il comprend la région de Bordj El Houès, Adrar Ouanane (1852 m d’altitude), Erg Thodaïne, Adrar Ahellakane.
Le massif du Hoggar, quant à lui, comprend l’Assekrem (ermitage du père de Foucauld), Teghenanet et la vallée de l’Oued Igharghar.
A.N.M.
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