Près du quart de la population algérienne vit dans les zones rurales. Malgré le fort rythme d’urbanisation, le poids de la ruralité pèse encore de façon honorable dans la répartition géographique de la population et dans la production économique du pays. Cette dernière ne se limite pas au secteur de l’agriculture dans sa définition professionnelle ou institutionnelle, supposant l’existence de la carte d’agriculteur, l’adhésion à une filière de production, l’existence de facteurs favorables de production agricole (foncier avec une superficie suffisante, possibilités de mécanisation, éligibilité aux crédits bancaires et à la procédure d’hypothèque, mobilisation de la ressource hydrique, réseau de desserte adapté…).
Par Amar Naït Messaoud
La production économique englobe toutes les activités liées aux produits du terroir et d’artisanat. La petite agriculture de montage ou du piémont, aux surfaces limitées, souffrant généralement de l’absence de titres de propriété (souvent dans l’indivision) et pour laquelle les facteurs de production les plus élémentaires sont déficitaires (ressource hydrique, réseau de pistes, non éligibilité aux crédits bancaires,…), se trouve généralement associée avec l’élevage, au cheptel de taille limitée (ovin, bovin, caprin) organisé en semi-extensif, un petit élevage de basse cours (cuniculture, aviculture) et de modules apicoles, ainsi qu’aux produits artisanaux dont les matières constitutives principales sont issues du terroir (laine, cuir, alfa, palmier nain, sparte, bois, glaise,…).
Partout dans le monde, en dehors de la grande agriculture occupant généralement les zones de plaine et bénéficiant d’une stratégie spécifique de soutien par filières, se développent, avec une inégale fortune, des activités rurales dans les piémonts et sur des zones de montagne qui complètent l’activité agricole professionnelle et qui se décline dans une gamme de catégories et de produits qui dépasse le simple cadre alimentaire.
Produits du terroir (poterie, vannerie, dinanderie, ébénisterie, tapisserie…) se mettent au même rang d’étalage que les produits des jardins et des vergers familiaux (laitue, tomates, poivron, cerise, glands de chêne vert, azeroles…). On estime que la production de jardins familiaux dans certains pays d’Europe contribue à hauteur de 30 % à la production agricole globale.
Les traditions des activités rurales en Algérie ont été fortement bouleversées par l’exode vers les villes, phénomène qui avait commencé bien avant la guerre de Libération nationale et qui s’accentuera au cours des années de l’indépendance. Il fut un temps ou le principe cardinal qui énonce que « la campagne nourrit la ville » n’était pas un vain mot.
Comme on connaissait l’«heure du laitier» – l’aube, à partir de laquelle le producteur de lait de la bourgade pointe avec sa carriole devant les portes de la ville-, on connaissait aussi les meilleures régions qui fournissaient huile d’olive, miel, cerises, figues, figues de barbarie, pommes, poires, prunes, grenades et autres fruits de cru.
Nos fellahs charretiers, loin des grandes fermes coloniales, étaient connus à des kilomètres à la ronde, de même que leur saison de présence sur le marché.
Dommageable rupture de la chaîne de valeurs
A ces activités relevant de l’agriculture de montagne et du jardinage familial, se greffent les productions d’outils, pièces et instruments de travail. Faux, faucilles, serpes, haches, harnais, mors, brides, selles, tuiles, meules pour moulin à huile, pannes de charpentes et d’autres pièces encore étaient fabriqués, entretenus et réparés localement.
Sans doute, les derniers actes de cette civilisation rurale ont été joués au cours des années soixante-dix du siècle dernier. Avec la montée en puissance de la rente pétrolière ayant favorisé le développement effréné du salariat et le soutien des prix de produits- importés- jugés de première nécessité, l’acteur du monde rural- artisan, fermier, conducteur de verger, foreur de puits…-, s’éclipse pour mourir en silence.
On l’a forcé à venir s’approvisionner en produits soutenus en ville dans le Souk El Fellah, lequel, ô comble d’hérésie, n’est pas alimenté par le fellah mais alimente ce dernier comme l’avait décidé la politique économique d’alors.
On voudrait instaurer une concurrence déloyale à l’acteur du monde rural, l’on ne s’y prendrait pas autrement. Mieux, cela se fit avec l’argent du pétrole, supposé appartenir à la collectivité nationale et servir au développement du pays.
Quelques années plus tard, l’ouverture économique aidant, l’Algérie se verra dans la position d’importateur non seulement des produits industriels (pièces détachées, produits finis, semi-finis), des produits pharmaceutiques et de l’alimentation, mais aussi des produits artisanaux chinois, de la figue séchée et des abricots confits par des femmes montagnardes de Turquie.
Il est évident que toute la politique du développement touristique dont on parle tant depuis des années, ne peut pourtant prendre nul envol si les produits du terroir d’Algérie (articles d’artisanat, produits alimentaires locaux ayant subi un traitement agroalimentaire local) ne sont pas réhabilités, valorisés et promus.
Pendant de longues années, la campagne et l’agriculture algériennes avaient bénéficié d’une attention inversement proportionnelle à celle des recettes pétrolières qui ont fini par installer la mentalité rentière y compris dans les campagnes. Les bouleversements ont touché aussi bien les populations que les territoires.
Pour un développement durable autoentretenu
La dislocation de cet espace rural, avec son lot de misère et d’exode vers les villes, a été passé étudié par les experts en 2006.
Le Plan de soutien au renouveau rural qui en est issu avait constitué l’ossature de la politique de Renouveau rural et mise en œuvre à partir de 2009. Il se trouve que dans les chamboulements économiques et sociaux vécus par la campagne algérienne, la notion même de ruralité est sujette à controverse.
En effet, dans une situation où les métiers ruraux, -et principalement l’artisanat- se meurent, où le salariat et l’économie informelle prédominent chez la population occupée, où le chômage continue à sévir dans plusieurs zones rurales et où les activités agricoles, hors des zones de plaine où l’activité s’est professionnalisée, il y a lieu de redéfinir la notion de monde rural et de lui imaginer les modèles de développement qui prennent en compte toutes ces contraintes.
Les autorités du pays ont, depuis la fin des années d’insécurité, donné des signes d’un intérêt porté pour le développement de la campagne algérienne et, ce, en dehors- ou plutôt en complément- , de la politique agricole générale du pays.
Conscient des conséquences du nouvel exode rural généré par la décennie de terrorisme, le gouvernement avait mis en œuvre une politique dite de développement rural.
Elle est initiée et conduite dans le but de permettre le retour des populations vers leurs bourgades d’origine où elles pourront vivre décemment, loin de l’humiliation des favelas entourant les grandes villes ; elle est aussi initiée dans le but de desserrer l’étau sur les villes algériennes dont la taille, l’organisation et le développement ne permettent guère d’abriter et de nourrir correctement tous leurs habitants.
Sans qu’il y ait une véritable étude d’évaluation économique, sociale et environnementale des projets de proximité de développement rural mis en œuvre pendant près de deux décennies, on ne risque pas de se tromper en établissant le constat de réussite de ces projets à la seule vue de la transformation de la campagne algérienne au cours de ces dernières années qui ont vu des retours massifs de populations.
Mieux, ces efforts ont été poursuivis à partir de 2020 pour améliorer le cadre de vie de ces populations sur le plan du désenclavement, des l’assainissement, de l’adduction d’eau potable, de l’électrification rurale, de l’introduction du gaz naturelle dans les foyers, de la réhabilitation de certaines infrastructures scolaires abandonnées pendant les années noires du terrorisme, de l’éclairage public et même de la fibre optique et des antennes de la téléphonie mobile. Ces projets ont été menés dans la cadre de la politique dite de développement des zones d’ombre.
Ainsi, le début de stabilisation crée par le soutien à l’agriculture, à l’artisanat et aux produits du terroir, a été consolidé par la mise en place des facteurs d’amélioration du cadre de vie.
Les efforts de soutien de la part des pouvoirs publics sont censés se poursuivre, mais les résultats positifs obtenus jusqu’ici sont censés, eux aussi, s’auto-entretenir et se dupliquer dans une dynamique de développement durable qui bénéficiera aux ménages ruraux, à l’économie locale et à l’environnement.
A. N. M.
