Invité de la radio Chaîne 3, l’expert consultant international sénior dans le domaine de l’eau, M. Ahmed Kettab, a salué la dynamique impulsée par le président de la République en matière de dessalement de l’eau de mer, tout en dressant un diagnostic précis des défis à relever pour garantir à l’Algérie une véritable sécurité hydrique à l’horizon 2050.
Par Nadia B.
Revenant sur les récentes décisions du Conseil des ministres, M. Kettab a rappelé que l’Algérie dispose aujourd’hui d’une capacité de production de 3,7 millions de m³ d’eau dessalée par jour, grâce à la mise en service de cinq grandes stations construites en un temps record — moins de 26 mois — entièrement par des ingénieurs algériens. Trois nouvelles stations d’une capacité de 300 000 m³/jour chacune seront prochainement lancées à l’Ouest du pays, où les besoins sont les plus pressants.
À terme, le programme 2025-2030 pré- voit la réalisation de sept stations supplémentaires, dont une de 600 000 m³/jour, pour atteindre une couverture optimale.
«Avec la société Algérienne Desalination Company (ADC), qui a acquis une maîtrise technique complète, je suis convaincu que ces trois nouvelles stations seront livrées en moins de deux ans», a-t-il assuré.
Des fuites colossales à résorber
Abordant la question des pertes d’eau dans les réseaux, l’expert a tiré la sonnette d’alarme : «En Algérie, les fuites dans les réseaux varient entre 40 % et 70 %, alors que dans les pays développés, elles ne dépassent pas 10 à 15 %.»
Ces pertes interviennent à tous les niveaux du circuit hydraulique — depuis la sortie du barrage jusqu’au robinet du consommateur. «Il y a des fuites dans les canalisations d’adduction, dans les stations de traitement, dans les conduites de distribution et même au niveau domestique», a-t-il détaillé.
Certaines fuites, visibles, sont rapidement réparées par les services de l’Algérienne des Eaux, mais les plus importantes sont celles qui se produisent sous terre, invisibles à l’œil nu, où «des milliers de mètres cubes se perdent chaque jour sans être détectés».
Pour y remédier, M. Kettab préconise un plan national de maintenance et de détection, mobilisant les nouvelles technologies : «Nous disposons désormais d’appareils capables de repérer les fuites à plusieurs mètres de profondeur. Il faut lancer une campagne nationale de détection systématique et réparer progressivement toutes les conduites défaillantes.»
Selon lui, ramener le taux de pertes de 40 % à 20 % permettrait de «gagner des centaines de milliers de mètres cubes d’eau par jour, sans avoir à construire de nouveaux barrages».
Vers une tarification progressive et équitable
Autre axe central du plaidoyer de M. Kettab : la tarification de l’eau, jugée aujourd’hui inadaptée et facteur de gaspillage. «Le mètre cube d’eau vendu au citoyen coûte 6 dinars, alors que celui produit par dessalement revient entre 140 et 150 dinars. Ce différentiel colossal montre que l’eau n’a pas la valeur qu’elle mérite.»
L’expert ne plaide pas pour une hausse brutale du prix, mais pour un système de tarification progressif et socialement juste : «Je propose que les 20 premiers mètres cubes par mois soient gratuits pour chaque ménage, car il s’agit d’un besoin vital. Mais au-delà de ce seuil, le tarif doit augmenter de manière exponentielle.»
Concrètement, M. Kettab suggère une facturation différenciée selon les usages : – gratuité ou tarif symbolique pour les ménages modestes ; – tarif majoré pour les usages excessifs (piscines, lavage de voitures, espaces verts privés) ; – tarification spécifique pour les institutions et entreprises à forte consommation.
Pour illustrer son propos, il cite l’exemple du lavage automobile : «Un professionnel qui achète un mètre cube d’eau dessalée paie environ 700 dinars. Mais celui qui utilise l’eau du robinet la paie à 6 dinars seulement. Il est donc normal d’appliquer un tarif différencié selon les usages et les revenus.»
Ce modèle, explique-t-il, inciterait naturellement les citoyens à réduire le gaspillage, tout en assurant la viabilité financière du secteur de l’eau.
Moderniser la gouvernance et renforcer la souveraineté hydrique
L’expert a par ailleurs insisté sur la nécessité de moderniser la gouvernance du secteur. Il recommande d’actualiser les études hydrologiques — dont certaines datent des années 1960 — et de relancer les assises nationales de l’eau afin de réviser la loi sur l’eau de 2005, devenue obsolète au regard des défis climatiques actuels.
Enfin, M. Kettab appelle à la création d’un Conseil national de souveraineté hydrique, placé sous l’autorité directe du président de la République : «Nous avons un Conseil national de l’énergie et un autre pour la santé ; il est temps d’instituer un Conseil de l’eau, chargé de définir la stratégie nationale jusqu’en 2050.»
Pour cet expert reconnu, la sécurité hydrique est désormais une question de souveraineté nationale. Elle passe par une approche intégrée : innovation technologique, rationalisation des usages, valorisation des eaux usées, tarification juste et planification stratégique. «L’eau n’est pas seulement une ressource économique, c’est un enjeu de survie et de stabilité.»
N. B.







