Les femmes sont de plus en plus présentes dans l’espace public. Elles travaillent dans tous les secteurs activité. Elles sont même, pour certaines, promues à des postes de responsabilité clés. A première vue, on aurait dit que l’Algérie est bien le paradis des femmes, mais lorsqu’on va dans le fond on y voit plus clair. Petit tour d’horizon.
Par Adem Abdelkader
Faut-il se fier aux chiffres ou tenir compte des lois et règlement en vigueur ? Ces deux paramètres sont des trompes l’œil, «c’est la partie immergée de l’iceberg», pense-t-on. La réalité est tout autre, selon des femmes que nous avons interrogées, lesquelles pensent que «la liberté de la femme ne se décrète pas». quant aux chiffres, «ils sont souvent erronés, et ne servent qu’à donner l’impression d’une certaine avancée sans réel encrage sur le terrain», estime-t-on.
Hassina H., cadre dans une entreprise publique, n’en pense pas moins. Pour elle, «comme dans tous les domaines de la vie, les lois ne sont pas ce qui manque, mais il faudra d’abord qu’elles soient appliquées». Ceci dit, selon elle, «le fait que la constitution ou d’autres lois de la république énoncent expressément les droits des femmes, ne suffit pas».
Le même avis est partagé par Manel S., universitaire en chômage, laquelle pense que sur «le terrain on fait fi des lois, et on continue à considérer la femme comme un sous-humain». «Dans ma quête d’emploi, je suis à chaque fois confrontée à cette situation gênante. Certes, la loi ne m’interdit pas de travailler en tant que femme, et les conditions d’accès –du moins celles affichées– ne sont pas différentes de celles imposées aux hommes, mais le fait d’être femme n’offre pas toutes les chances, contrairement aux idées reçues qui font que les femmes sont avantagées. Au contraire, on a l’impression que beaucoup d’employeurs évitent de recruter des femmes dans certains postes», témoigne-t-elle.
Les femmes peu considérées…
Sur les lieux du travail, pour celles qui ont eu la chance de décrocher un poste, on n’est pas loin du calvaire. «Les femmes sont souvent écartées des promotions aux postes supérieurs, contrairement à leurs collègues du sexe opposé», tranche Assia M. une assistante administrative. «On pense souvent que la femme n’est pas en mesure d’assumer des responsabilités, c’est une question de mentalité difficile à changer», ajoute-t-elle.
A cela s’ajoute bien sûr, les différentes formes de harcèlement que subissent les femmes travailleuses au quotidien.
Concernant le harcèlement moral, Dr. Malika Rebai Maamri, enseignante-chercheure, estime dans une analyse publiée sur le site lequotidienalgerie.org, que «Les femmes sont deux fois plus souvent victimes du harcèlement moral que les hommes. En général les femmes qui n’ont pas l’habitude de se montrer agressives se font plus facilement piéger. Les réactions qui font suite au harcèlement diffèrent aussi entre les hommes et les femmes. Alors que ces dernières sont animées de sentiments de rage, de colère et de tristesse, et tentent de se défendre, les hommes ont tendance à cacher à leur entourage familial ou à leurs amis les effets du harcèlement. En Algérie, bien que ce phénomène soit très répandu, il n’en demeure pas moins tabou.»
Au temps pour le harcèlement sexuel, les femmes sont les seules et unique victimes de ce phénomène. En effet, et si l’on se réfère aux conclusions de l’enquête réalisée en 2014, par la Fondation algérienne pour la promotion de la santé et de la recherche (Forem), «une femme sur deux en Algérie est concernée par le harcèlement sexuel.» Le phénomène ne concerne pas que les femmes travailleuses malheureusement, puisque même les étudiantes n’y échappent pas. Selon la Forem, 45,11% des étudiantes seraient victimes de harcèlement sexuel. Les auteurs sont les enseignants, les administrateurs et les agents de sécurité.
Des lois en attendant le changement de mentalité
Une loi criminalisant les violences faites aux femmes, a été adoptée en Algérie depuis mars 2015, laquelle introduit désormais la notion de harcèlement sexuel et punit toute forme d’agression, de violence verbale, psychologique ou maltraitance, à l’adresse des femmes, notamment en cas de récidive. En effet, «avant cette réforme, le code pénal incriminait les coups et blessures sans distinction de sexe, le viol, l’inceste, le harcèlement sexuel, le trafic d’êtres humains. Avec la nouvelle loi, le législateur incrimine la violence conjugale et toutes formes d’agressions répétées, de violence verbale, psychologique ou maltraitance, notamment en cas de récidive.»
Par ailleurs, «le code pénal inclut un article concernant la protection de l’épouse des coups et des blessures volontaires, provoquant un état d’invalidité, amputation ou la mort de la victime, et introduisant des sanctions en fonction du préjudice. La loi alourdit également les peines relatives au harcèlement sexuel.»
Toutefois, il faut reconnaitre que cette avancée sur le plan légal, ne trouve pas un meilleur écho dans la société, dont certaines franges vont jusqu’à s’y opposer. C’est dire qu’il y reste encore du chemin à faire…
En effet, rien que pour l’année 2019, les services de la Sûreté nationale ont recensé 5.620 cas de violence contre les femmes à travers le territoire national durant les neuf premiers mois de l’année en cours outre 4.597 affaires de violences contre les enfants lors des sept premiers mois de la même année. Par la suite, une augmentation alarmante et inquiétante a été enregistrée en 2020. La DGSN a enregistré 5.835 femmes victimes des violences, et 43 féminicides au cours des 10 premiers mois de la même année. Les raisons reviennent aux conséquences économiques de la crise sanitaire et la réduction des revenus des familles et des femmes.
Voilà donc, comment la femme algérienne se voit sur le lieu de son travail. Elle est peu considérée et son travail peu valorisé. Ceci dit, les quelques exemples qu’on cite ici et là de certaines femmes qui ont pu accéder à des postes supérieurs, ne sont qu’une minorité. «Ce sont là des exceptions, et l’exception ne fait pas la règle», tranche Ouahiba, directrice d’école, qui estime que si des avancées remarquables ont été, certes, enregistrées ces dernières années, il demeure encore que la femme est loin d’avoir toute la place qui est la sienne dans l’espace public.
Ainsi, donc, et en dépit des mesures prises pour permettre un meilleur épanouissement des femmes, l’Algérie se situe parmi les pays du monde ayant la plus faible participation économique des femmes. Cela va au temps pour la participation politique de la femme où elle ne représente qu’à peine 30% aux assemblées élues. Là, il faut dire que ce taux, même insignifiant, n’est rendu possible qu’après l’adoption en 2011, de la loi qui impose aux partis un quota féminin de 20 à 50% des sièges sur leur liste.
Ce sont là des avancées que confirme l’amendement apporté à la loi fondamentale du pays, où il est désormais écrit sur du marbre que la femme bénéficie de toute la considération et des droits qui sont les siens. Sur ce, le ministère de la Solidarité nationale, de la famille et de la condition de la femme, estime que les dispositions constitutionnelles en faveur de la femme viennent parachever le processus de promotion de son rôle et de protection de ses droits».
A. A.