Coup dur pour les entrepreneurs algériens qui vivent, présentement l’une des situations les plus «compliquées», en ce temps de Covid couplé à une crise économique latente. Selon certaines estimations, ce ne sont pas moins de 40% des entreprises privées qui risquent de glisser la clef sous le paillasson !
Par Nabila Agguini
Les pronostics faits en début de la crise sanitaire, intervenant concomitamment avec une crise économique qui frappe l’Algérie depuis au moins 2014, et aggravée par l’instabilité institutionnelle vécue en 2019, se confirment malheureusement. Le secteur privé, avec plus d’un million d’entreprises, dont la majorité est constituée des petites et moyennes entreprises et de TPE, en a accusé des pertes énormes. En effet, les conséquences économiques de la Covid-19, ont été à l’origine de la fermeture de nombreuses entreprises. Cette situation induite par le confinement d’une grande partie des travailleurs, a donné suite à l’affaiblissement de l’économie constaté depuis février 2019 déjà, où la contestation populaire «Hirak», a causé une paralysie décisionnelle et l’arrêt partiel d’un certain nombre d’activités. A titre d’exemple, «le secteur du bâtiment et des travaux publics a été tout particulièrement touché avec 60% des entreprises ayant cessé leurs activités. Le gel des marchés publics a provoqué entre 2019 et 2020 un net accroissement des ‘’factures en souffrance’’ et du chômage ainsi qu’une baisse de la confiance des investisseurs. Les banques s’abstiennent d’octroyer des crédits aux entreprises privées.», lit-on dans un document du Département fédéral Suisse des affaires étrangères (DFAE), daté du mois d’août 2020.
Une baisse nette depuis 2012
Le constat étant alarmant, il n’a pas laissé indifférents le patronat algérien qui n’a de cesse de tirer la sonnette d’alarme. Abdelouaheb Ziani, président de la Confédération des industriels et producteurs algériens (Cipa), interviewé par nos confrères du quotidien Liberté, évoque «un risque imminent» de voir près de la moitié des entreprises privées mettre la clé sous la porte. Selon lui, «l’État via ses banques, doit venir en aide à ces PME, faute de quoi un important savoir-faire et outil de production pourrait définitivement disparaître.»
«Plus de 40% des entreprises, notamment du BTPH, matériaux de construction, etc., sont actuellement en voie de disparition», et «si l’on perd ces sociétés, créées il y a dix ou 20 ans, il sera difficile de les remplacer du jour au lendemain», alerte M.Ziani qui souligne qu’en cas de dépôt de bilan, les ressources humaines sombreront «dans une déperdition, freinant ainsi l’évolution et l’essor des différents secteurs d’activité».
Cette situation n’échappe pas aux pouvoirs publics, notamment au ministère délégué chargé de la Prospective, lequel avait plaidé pour que l’année 2021 soit celle des «réformes profondes des secteurs économiques et sociaux» afin d’«éviter de nouvelles crises plus importantes» après la crise sanitaire de la Covid-19 ayant marqué l’année 2020.
Selon un document, préparé par le Système des Nations unies en Algérie, en collaboration avec le Bureau Maghreb de la Commission Economique pour l’Afrique, intitulé : «Analyse rapide de l’impact socio-économique du COVID19 sur l’Algérie», diffusé en Juin 2020, «avant même l’arrivée du virus enAlgérie, la croissance faiblissante du PIB (1% en 2019 contre 1.4% en 2018), s’expliquait déjà par l’évolution négative de la production et des prix des hydrocarbures, ainsi que par la faiblesse de diversification de l’économie algérienne.» Dans le même document, on peut lire qu’«un ralentissement de la croissance a été enregistré même dans les secteurs hors hydrocarbures puisque la croissance hors hydrocarbures est passée de 3,3%en 2018 à 2,6% en 2019. Un ralentissement est enregistré dans lessecteurs du Bâtiment, Travaux Publics et Habitat (BTPH), de l’agriculture et du commerce. Cette tendance est structurelle pour beaucoup de variables comme par exemple, la croissance de l’investissement public et privé, dont l’évolution montre une baisse nette depuis 2012 et négative en 2019.»
Un impact certain sur le front social
Cette situation problématique, laisse présager des conséquences qui risquent d’être encore plus graves, selon plusieurs analystes. En effet, s’il est établi actuellement, que les entreprises ne tournent qu’à hauteur de 20% de leurs capacités, il faudra s’attendre à ce que l’impact sur l’emploi, et par extension, sur les conditions de vie des Algériens soit encore plus important. Sur ce, il est utile de noter que, selon les chiffres de l’Office national des statistiques (ONS), le secteur privé emploie 6,95 millions de travailleurs, soit 63% de l’emploi total en Algérie, au moment où le secteur public, ne représente que 4,09 millions de travailleurs, soit 37% de la population occupée qui est de 11,048 millions de travailleurs.
Pour éviter les conséquences prévisibles de cette crise, Abdelouaheb Ziani appelle le gouvernement à accompagner «les entreprises dans l’exercice de leur métier», suggérant la levée de toutes les contraintes bureaucratiques, les résistances et les réticences à tous les niveaux de responsabilité. Pour anticiper, la Cipa ainsi que d’autres organisations patronales, ont entamé des démarches auprès des banques publiques afin d’étudier la situation financière des entreprises impactées par la crise et de tenter de trouver des solutions à leurs problèmes.
Selon M. Ziani, le Crédit populaire d’Algérie (CPA), la Banque extérieure d’Algérie (BEA) et la Banque de l’agriculture et du développement rural (Badr) se sont engagés à entamer des discussions avec les chefs d’entreprises «dans le but de trouver la meilleure formule qui leur permettra de se relancer dans leur créneau». Le même responsable rappelle toutefois que «ce n’est pas le cas des banques privées, notamment européennes, qui n’ont pas jugé utile d’aider ces entreprises pendant cette crise sanitaire et économique», précisant qu’«il y a eu instruction pour accompagner les entreprises en difficultés, mais elles n’en ont pas tenu compte».
Une situation qui interpelle les hautes autorités du pays, lesquelles doivent intervenir au plus vite pour remettre de l’ordre et de créer les conditions les plus à même de donner un nouveau souffle aux entreprises privées à travers le pays.
N. A.