Est-il suffisant de ne retenir que les chiffres galvaudés ici et là, ou plutôt chercher davantage dans les tréfonds de la société active pour comprendre au mieux ce qui est advenu du marché du travail dans le pays ? La question mérite bien d’être posée…
Par Adem K.
En Algérie, même si l’on a remarqué ces dernières années, un développement certain au niveau du marché du travail, il demeure que la science de la statistique est loin d’être en mesure de sonder la réalité. «Les chiffres officiels sont loin de traduire la réalité du terrain», disent, unanimes, les experts ayant eu à traiter de la question. Toutefois, si l’on a généralement tendance à lier – comme par on ne sait quelle obstination – l’analyse au seul facteur du chômage, il demeure que d’autres aspects encore plus importants sont ignorés. Même les pouvoirs publics, dans une démarche qui visiblement ne veut pas tenir compte du détail, s’entêtent à aligner des chiffres, parfois même astronomiques, mêlant emplois temporaires, et même parfois fictifs et sans impact réel sur le vécu des citoyens.
Les jeunes sont les plus touchés par le chômage
Une certaine catégorie, à savoir celle dans la tranche d’âge allant de 15 et 24 ans, représentant une moyenne de 21,2% de la population globale, n’est à compter ni dans la force de travail ni dans les contingents des scolarisés. Ce sont là des chiffres officiels, figurez-vous. L’Office national des statistiques (ONS) qui rendait public, en mai 2019, a estimé la population active à 12.730.000 personnes au niveau national, avec une hausse atteignant 267.000 par rapport à septembre 2018 et 304.000 comparativement à avril 2018. D’autre part, les statistiques établies par les organismes internationaux, présentent l’évolution du taux de chômage en Algérie de 2012 à 2016, avec des prévisions jusqu’en 2022 qui vont crescendo. Entre 2010 et 2016, le taux de chômage en Algérie a atteint deux pics à environ 11% en 2012 et 2015. Selon les estimations du Fonds monétaire international, le taux de chômage en Algérie qui augmentait continuellement depuis 2018, devra atteindre environ 16% d’ici 2022. Dans son rapport sur les perspectives de l’économie mondiale, publié récemment, le FMI prévoit que le taux de chômage grimpe à 14,1% l’année en cours et s’aggrave en 2021 pour atteindre 14,3%.
Toujours dans le même contexte, une étude réalisée par des chercheurs du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD), l’on note que la précarité de l’emploi touche 60% des jeunes.
Cette situation qui était déjà intenable avant 2020, s’est vue aggravée par la propagation du Coronavirus et la crise qui s’en est suivi. Selon le Centre d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care), «Sur la récente période, tous les indicateurs suivis par les services de l’Anem ont baissé». Cela reflète un ralentissement de la dynamique du marché du travail en Algérie. «Les demandes d’emploi, les offres d’emploi et les placements ont diminué en moyenne de 2% depuis janvier 2019», précise la même source.
C’est l’avis également, du cabinet MHC International Ltd, qui a réalisé une étude sur la croissance inclusive et l’emploi en Algérie, et qui évoque «des dysfonctionnements sur le marché du travail avec un chômage qui touche de plus en plus les personnes instruites, les inégalités pour l’accès au marché du travail entre les hommes et les femmes et entre les jeunes et les adultes.» L’étude en question, suggère la mise en place de réformes pour une meilleure gestion de la main-d’œuvre et un fonctionnement optimal du marché du travail. «L’opacité du fonctionnement du marché du travail représente une des contraintes majeures à une meilleure gestion de la main-d’œuvre», estime l’étude.
Les limites du déséquilibre…
Là, l’intervention des dispositifs d’aides à l’emploi et à la création d’entreprises, à l’instar de l’ANSEJ, la CNAC et l’ANGEM, pour ne citer que ceux-là, s’avère importante, sinon primordiale. Toutefois, il faut dire que ces dispositifs, même s’ils arrivent à capter un nombre important de personnes désireuses de s’engager à leur propre compte, ils n’arrivent tout de même pas à créer une réelle dynamique de création d’entreprises viables créatrices de richesses et… d’emplois. La question de la viabilité de ces milliers de petites entreprises créés grâce au soutien de l’Etat, est une autre question…
En tout cas, montre l’enquête de l’ONS, 16,8% de la main d’œuvre totale exerce dans le secteur du BTP (construction), 16,1% dans l’administration publique hors secteur sanitaire, 15,7% dans le commerce, 14,9% dans la santé et l’action sociale et 11,5% dans le secteur des industries manufacturières. D’autre part, la parité privé/public marque bien les limites du déséquilibre constaté. D’après l’ONS, «La ventilation selon le secteur juridique fait ressortir que le secteur privé absorbe 62,2% de l’emploi total, avec un volume de 7.014.000. L’emploi féminin se démarque par une plus grande concentration dans le secteur public qui absorbe 61,1% de la main d’œuvre féminine totale.»
«Ventilé par groupe de professions, l’emploi féminin absorbe 56,9% de l’emploi total des employés administratifs, 54,8% des professions intellectuelles, 37,5% des professions intermédiaires (cadres moyens), et 9,8% du groupe de profession ‘’Directeurs et gérants’’».
L’autre élément à prendre en ligne de compte, est sans conteste le fait inhérent que le gros des emplois s’exerce pratiquement dans l’informel. Donc non comptabilisable aux vues des statistiques officielles. Le défaut de déclaration à la sécurité sociale se trouve, malheureusement, la règle pour de larges franges de travailleurs dans le pays. Selon l’enquête précitée, 38,5% de la population active n’est pas déclarée à la Sécurité sociale. Ainsi, donc, ce sont des millions de travailleurs qui exercent leurs fonctions au «noir». Sur un autre registre, et comme travail rime avec salaire, il demeure également que des incohérences sont relevées à ce niveau où les disparités sont énormes. Même le SNMG censé être appliqué partout et par tous les employeurs, de la même façon, se trouve souvent ignoré.
A. K.