Avec le retour attendu du Président de la République, ce 29 décembre 2020, la machine étatique à laquelle la principale impulsion est constitutionnellement donnée par le Chef de l’Etat, va devoir se mettre en branle pour prendre en charge les redoutables problèmes du pays et ce, conformément à la feuille de route conçue par Abdelmadjid Tebboune.
Point de vue de Ali Mebroukine, Pr. d’université
Parmi ces défis, nous en avons relevé quatre dans cette première partie.
- Sur le plan institutionnel
L’année 2021 est celle de l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle adoptée par référendum le 1er novembre 2020. Celle-ci a vocation à instaurer un système de représentation, non pas seulement fondé sur le respect du suffrage universel direct, mais lesté de garanties concrètes quant à la sincérité et la régularité du scrutin. La loi organique relative aux élections qui sera adoptée par le Parlement, probablement avant la fin du mois de janvier 2021, déclinera le modus operandi de tous les scrutins à venir. On ne peut imaginer à ce stade, dès lors que les propositions de l’opposition et de la société civile, quant à l’aménagement d’une période de transition, ont obtenu une fin de non recevoir, que ces élections puissent être truquées. Le président de la République s’est engagé à organiser des élections propres et honnêtes et il tiendra parole
2. Sur le plan économique et financier
La situation économique et financière du pays appelle des réformes de structure, sans cesse différées depuis 40 ans, et non des aménagements de surface. Hélas, aucune des crises financières que le pays a connues depuis 1986 n’a été l’occasion d’un examen sérieux et approfondi sur la pertinence du modèle économique algérien bâti sur une rente pétro-gazière réputée intarissable. Beaucoup d’Algériens, en dehors des initiés du sérail, savent que l’Algérie comptera 52 millions d’habitants en 2030, ce qui constituera pour les futurs décideurs une contrainte très lourde en termes de création d’emplois, de places pédagogiques dans l’enseignement, d’hôpitaux, de logements, de services publics et en termes d’entretien des infrastructures publiques et des équipements collectifs. Ils savent également qu’en 2035, l’Algérie cessera d’être un pays exportateur de pétrole et aussi de gaz, si la consommation intérieure d’électricité et de gaz n’est pas maîtrisée et continue de croître au rythme de 6% par an, absorbant ainsi 53% de la production de gaz naturel. A cet égard, beaucoup d’observateurs algériens et étrangers s’étonnent du retard pris dans la réalisation des énergies renouvelables, à la fois au regard de l’érosion de nos ressources fossiles (vérifiable dès 2008), et du potentiel solaire dont dispose le pays(le troisième au monde). Entre 2011, date du lancement du fameux programme des 22.000 MW, seuls 400 MW ont été produits. Certains responsables du secteur semblent s’accommoder de ce qui constitue une menace pour la sécurité énergétique du pays①. Le président de la République dont on connaît et redoute le volontarisme politique, ne manquera pas de secouer cette torpeur de mauvais aloi. Le secteur public économique devra être redimensionné, qu’il s’agisse des entreprises ou des banques. Il est temps de tirer les leçons de l’échec total du secteur public marchand à impulser la croissance, suite au processus de désindustrialisation mené par les successeurs de Houari Boumediene. Il est annoncé que ce redimensionnement prendra la forme de privatisations partielles. Ceci dit, il ne sera pas facile pour l’Etat de trouver des repreneurs crédibles, à la fois en raison de la persistance d’un climat des affaires morose et des conséquences induites par la Covid-19 qui se feront sans doute sentir jusqu’à la fin de 2021. S’agissant de la diversification nécessaire de l’économie nationale, elle se heurte à un double obstacle: l’absence d’une plate-forme industrielle en 2021, 50 ans après la mise en place d’une industrie lourde et l’absence d’intégration de la quasi totalité des entreprises algériennes, publiques et privées, dans les chaînes de valeurs mondiales. Ces deux lourdes hypothèques ne seront pas levées avant plusieurs années, mais l’essentiel est d’amorcer l’aggiornamento de l’industrie algérienne, lequel ne peut se réduire au montage d’une industrie automobile qui s’annonce des plus aléatoires. Quant à la rénovation du marché monétaire, elle s’imposait depuis longtemps, au regard de l’incapacité structurelle des banques publiques (qui mobilisent 90% des actifs de l’industrie bancaire) à réaliser une intermédiation financière efficace et réduire le volume des créances non performantes qu’elles détiennent sur les entreprises publiques, obligeant le Trésor à racheter les déficits abyssaux accumulés par elles, (soit l’équivalent de 120 milliards de dollars entre 1991 et 2019). L’intermédiation financière souhaitable dans l’état actuel de notre économie est que 55 à 60% des crédits à la clientèle soient accordés par les Banques privées et celles des banques publiques qui seront privatisées. En ce qui concerne le marché financier, il faudra, sans doute, combiner volontarisme politique et exigence de transparence pour amener quelque 40 à 50 entreprises, de préférence les plus importantes, à entrer en bourse. A défaut de ces deux réformes importantes, il est vain d’attende de l’économie algérienne qu’elle renoue avec la croissance, d’autant plus que la commande publique à laquelle était adossé le devenir de trop nombreuses entreprises, ira en diminuant. Enfin, il faut savoir que le marché monétaire ne peut valablement remplir son office que s’il est régulé et supervisé par une banque centrale indépendante de l’Exécutif mais collaborant néanmoins avec lui pour atteindre les objectifs fondamentaux de la politique monétaire. Dans le même sens, la Banque d’Algérie doit pouvoir contrôler l’ensemble des banques de la place et s’assurer que le niveau de leurs fonds propres est compatible avec les engagements qu’elles prennent, notamment, à l’égard de certains clients ; le respect des principaux ratios prudentiels édictés par la Banque d’Algérie est également une exigence pour l’avenir. A cet égard, la révision de l’actuelle Loi Monnaie et Crédit (LMC2003), est nécessaire mais n’y suffira pas.
3. La viabilité du modèle social algérien
Ce modèle qui est porté par la rente pétrolière et gazière, devra être revu, à la fois parce qu’il est trop dispendieux et parce qu’il est inéquitable, au sens où il bénéficie, de façon indiscriminée, à toutes les catégories sociales. La dette publique interne représente, en 2020, 57,2% du PIB. Il est impératif de stopper cette dérive qui passe par une amélioration sensible du rendement de la fiscalité ordinaire. Depuis la loi de Finances pour 2010, la fiscalité ordinaire abonde pour 60% en moyenne le budget de l’Etat contre 40% à la fiscalité pétrolière (exception faite du Budget de l’Etat pour 2021 dont le total des recettes générales est alimenté à hauteur de 52% par la fiscalité pétrolière). Mais ce constat est trompeur, à la fois au regard des déficits budgétaires accumulés depuis cette date et des ajustements apportés par les lois de finances complémentaires. Le constat le plus inquiétant est que le ciblage des catégories sociales éligibles aux subventions implicites et l’aide au logement reste hors de portée de notre administration. Aujourd’hui, au sein de l’économie informelle qui représente entre 30 et 35% du PIB, évolue un nombre certes inconnu, mais que l’on subodore important d’agents économiques du secteur institutionnel. Ce nombre est susceptible d’augmenter dans les mois prochains en conséquence de la persistance de la crise économique et de l’impact de la pandémie. Le ministère des Finances s’efforce, mais en vain, depuis 2017 de se doter d’un outil statistique fiable permettant d’appréhender le statut fiscal effectif des quelque 5,3 millions d’Algériens qui exercent dans le secteur informel (ils représentent 43% de la population active totale qui est évaluée à 12,5 millions d’habitants). En attendant que l’on puisse élaborer, grâce au concours de la Banque mondiale et du PNUD, une cartographie fiable de la formation des revenus en Algérie (revenus du travail, revenus du capital et revenus de transferts), il est bon que l’on garde présent à l’esprit, que si devaient être exclus des aides de l’Etat les trois premiers quintiles de la classe moyenne, leur paupérisation serait inévitable et à sa suite, c’est tout le pacte social interne qui volerait en éclats. Or la volonté du Président Tebboune, constamment réaffirmée depuis son élection est de lutter contre les inégalités sociales et contre les disparités régionales; les unes et les autres se sont beaucoup creusées en 20 ans.
4. La mobilisation des ressources humaines par l’Administration
Le défi que représentent pour notre pays la formation et le perfectionnement des ressources humaines(RH) n’est pas nouveau. Il se pose depuis une quarantaine d’années mais n’a jamais fait l’objet d’une vision à long terme destinée à mobiliser les diplômés de l’enseignement supérieur et des grandes Ecoles afin qu’ils servent de réservoir aux administrations centrales et locales ainsi qu’aux entreprises et établissements publics. 5, 4 millions d’Algériens sont sortis diplômés des universités et autres établissements de formation supérieure entre 1998 et 2019, (soit en moyenne, 270.000/an). Seule une minorité a pu trouver à s’employer dans les secteurs de l’Industrie, de l’Agriculture, des services et de l’Administration. Le décalage entre les qualifications théoriques acquises par ces diplômés et les exigences professionnelles des différents secteurs d’activité n’est pas seul en cause dans cette formidable déperdition. Il existe bien d’autres facteurs, à l’instar de la rémunération, la reconnaissance symbolique, la gestion des carrières et des emplois de la part des employeurs et parfois aussi, sous-administration oblige, la sur-numérisation des diplômés par rapport à la nature des tâches qui leur sont confiées. S’agissant des ressources humaines hautement qualifiées, on se focalisera sur les cadres qui gèrent des projets de développement auxquels sont affectées des enveloppes financières de plusieurs centaines de milliards de DA. Il est vrai que l’Etat ne peut pas rémunérer généreusement les 2,5 millions de fonctionnaires qui ont en commun le service des administrés et celui de la collectivité publique. Il est temps de se demander si, à l’instar de la France dont nous avons adopté à l’identique le système administratif, il ne faudrait pas envisager de créer les grands corps de l’Etat en dotant chacun d’eux d’un statut particulier lesté de privilèges pour ses membres sur la base du rôle fondamental qui leur est assigné dans le développement du pays, (corps des mines, corps des ponts, eaux et forêts, corps du génie rural, corps des télécommunications, corps de l’ONS, etc.). La Banque mondiale a eu à déplorer dans certains de ses rapports sur l’Algérie, le déphasage entre, d’une part, le médiocre statut matériel et symbolique des cadres algériens chargés de gérer les plans pluriannuels de développement et, d’autre part, les niveaux impressionnants des montants alloués à leur réalisation. Il s’agit de 720 milliards de dollars affectés à la réalisation du plan complémentaire de soutien à la croissance (2005-2009) du 1er plan quinquennal (2010-2014) et du second (2014-2019). Dans les collectivités locales, le problème se pose, sans exagération aucune, de façon dramatique. Dans l’ensemble des zones d’ombre identifiées par le gouvernement et dans lesquelles vivent 8,5 millions d’Algériens, le sous-encadrement dans les services publics est manifeste. Concernant la gestion de quelques 800 communes sur les 1.541 que compte le pays, le président d’APC et le secrétaire général de la commune peinent à s’appuyer sur des collaborateurs efficaces, alors que, paradoxalement, la loi n° 2011-10 du 22 juin 2011 portant Code communal, attribue de larges prérogatives à la commune en matière d’habitation, d’infrastructures, d’équipement, de protection de l’environnement et dans la perspective d’une diminution des recettes publiques, il est fait obligation aux responsables des collectivités territoriales de s’attacher à la valorisation du patrimoine mobilier et immobilier qui relève du domaine privé de la commune. On relève enfin que parfois ni le président d’APC ni le secrétaire général de la collectivité ne connaissent vraiment le champ de leurs compétences, que les commissions permanentes créées au sein des APC ne fonctionnent pas toujours et que le potentiel dont recèle la commune est sous-évalué et même laissé en déshérence②. Comment attirer vers ces communes les cadres les plus compétents installés jusqu’à la fin de leur carrière dans les administrations centrales ? Faut-il élaborer un statut de la Fonction publique territoriale qui prévoirait la mobilité des compétences sur l’ensemble du territoire, en contrepartie d’avantages multiples qui leur seraient octroyés ?
Conclusion
Ce ne sont là que quelques-uns des défis que notre pays devra relever dès cette année. La détermination du Président Tebboune, réaffirmée à l’occasion du dernier Conseil des ministres, celui du 3 janvier 2021, à redresser notre pays est totale et sincère③. Le Chef de l’Etat ne manquera pas de prendre d’autres initiatives ces prochaines semaines pour fixer définitivement le cap.
A. M.
NOTES
- V. Rapport annuel 2019 du Commissariat aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique.
- Voir Rapport annuel 2020 de la Cour des Comptes 2020, p. 113 et ss notamment.
- V. Déclaration du Ministre des Affaires Etrangères, Sabri Boukadoum, le 2 janvier 2021, en marge de la cérémonie de sortie de la 49ème promotion de l’ENA : « Avec le retour de Abdelmadjid Tebboune, l’Algérie relèvera tous les défis. »