Fin connaisseur des problématiques liées à l’élevage, cet expert jouissant d’une épaisse expérience, en Algérie et à l’international, revient dans l’entretien qui suit sur les blocages qui plombent la production laitière locale.
Propos recueillis par Mohamed Naïli
Eco Times : Malgré d’importants moyens financiers mobilisés durant des décennies et une volonté politique exprimée sans cesse, la filière lait n’arrive pas à se stabiliser. Pourquoi ?
Abdelhamid Soukehal : La filière n’arrive pas à décoller. Elle n’a jamais décollé. Il faut qu’elle décolle d’abord pour parler de sa stabilité. Si elle ne décolle pas, c’est parce qu’on n’a pas pris conscience des fondamentaux de cette filière qui sont, tout d’abord, la matière première du lait, à savoir l’herbe, donc les fourrages. Il y a des fourrages naturels que nous pouvons avoir grâce à la pluie pour les pâturages. Les grands pays laitiers par exemple, comme la Nouvelle Zélande, l’Irlande et tous les pays d’Europe du nord, s’appuient sur cette herbe naturelle qu’ils ont au printemps et en été grâce aux pluies abondantes pour pâturer et le surplus de ces herbes est fauché, séché et stocké pour nourrir les vaches en hiver. Donc c’est l’herbe qui est la matière première pour produire du lait et la vache est comme une machine qui transforme l’herbe en lait. Chez nous en Algérie, nous avons quatre machines qui peuvent transformer l’herbe en lait : la vache, la chèvre, la brebis et la chamelle, mais c’est à leur niveau que le problème se pose. Dans le passé, ces animaux étaient adaptés à la nature, en se nourrissant eux-mêmes par le pâturage au printemps dans les régions du nord avant de redescendre vers le sud à l’approche de l’hiver, jusqu’à l’atlas saharien. Mais le système colonial a cassé tout le système pastoral en empêchant le mouvement de circulation des cheptels pour imposer un nouveau modèle basé sur la sédentarisation.
Et maintenant qu’un nouveau modèle d’élevage est venu s’imposer, comment faire décoller cette filière?
Maintenant que nous ne pouvons plus compter sur l’herbe naturelle, donc il faut trouver comment nourrir les animaux ? Pour cela, rien ne peut se faire sans une planification sur 20 ans minimum. La régénération de la steppe, par exemple, nécessite un programme entre 20 et 50 ans. Mais malheureusement, chez nous, les responsables ou les ministres ne cherchent que des résultats à court terme. Lorsqu’un expert leur présente un plan d’action qui s’étale sur 10 ou 20 ans, ils disent non ça ne nous intéresse pas, parce qu’on ne va pas me juger là-dessus, mais je serai jugé sur des actions qui donnent des résultats immédiats. On doit changer de méthode. Il faut un plan d’aménagement de territoire qui comprend un plan d’aménagement agricole, avec une planification agricole sur le long terme et qui, à son tour, doit comprendre des sous plans d’aménagement spécifiques pour chaque branche, chaque activité, dont un sous plan pour le pâturage steppique, un sous plan pour le pâturage de montagne, etc. Mais, entre temps, il faut nourrir les cheptels et, comme la nature ne nous est pas favorable, il faut donc cultiver et produire de la nourriture pour les animaux d’élevage. Pour cela, l’éleveur ne peut pas produire lui-même cette nourriture, donc il faudra créer une branche spécialisée dans la production de fourrages et, après on aura deux acteurs différents, l’un pour la production d’alimentation et l’autre pour l’élevage. Ainsi, nous aboutirons à la création d’un nouvel instrument qui est l’industrie des aliments de bétail. Que ce soit le maïs, la luzerne, l’avoine ou le trèfle, ces cultures ne peuvent se faire qu’au sud en intensif et en irrigué et approvisionner les éleveurs au nord.
Il y a, par exemple, des opérateurs de la filière laitière qui proposent de développer des fermes d’élevage intensif dans le grand sud tout en y développant en parallèle des cultures fourragères intensives. Est-ce faisable?
Mais non ! Produire du lait au sud pour nourrir les villes du nord, c’est impensable. On peut développer des fermes d’élevage dans le sud pour couvrir les besoins des populations locales, c’est ce qui se fait actuellement d’ailleurs, que ce soit à Ghardaïa ou dans une autre région. Mais, celui qui propose de faire de l’élevage intensif dans le sud pour nourrir le nord ne connait rien ni à l’économie, ni à l’élevage. Transporter du lait sur des centaines ou des milliers de kilomètres coûtera plus que son coût de production.
Vous venez d’évoquer quatre « machines » dont dispose l’Algérie pour produire du lait, en faisant allusion à la vache, la chèvre, la brebis et la chamelle. Mais, lorsqu’on évoque la production laitière, on a tendance à focaliser sur la vache, pourquoi?
Ces trois autres sources représentent bien évidemment un potentiel important. Les produits issus du lait de chèvre par exemple se développent de plus en plus chez nous, même si que des pays comme la Tunisie, le Maroc ou la Grèce nous dépassent largement en la matière. Mais, il faut savoir que le lait de chèvre ou de brebis ne peuvent dégager de la valeur ajoutée que dans la fabrication de produits laitiers. Ces sources ne peuvent pas remplacer la vache pour la production du lait de large consommation.
M. N.
Production de viandes: En finir avec l’informel et la spéculation
Avec un objectif de 6,2 millions de quintaux de viandes rouges à l’horizon 2024 et une production d’un peu plus de 5 millions de quintaux de viandes blanches actuellement, la filière des productions animales renferme d’importantes opportunités au vu du dynamisme qui la caractérise et la feuille de route tracée par les pouvoirs publics pour sa consolidation. En témoignent les dernières résolutions prises lors du Conseil des ministres, tenu à la fin janvier dernier, dont, entre autres, la réouverture des frontières pour l’importation de bovins vivants.
Cette autorisation pour la reprise des importations dès ce début 2022 est décidée dans le but de renouveler, et surtout renforcer, le cheptel bovin qui a connu un relatif ralentissement suite au gel des importations décidé en 2020.
Pour les viandes rouges, le potentiel de l’Algérie est estimé à un peu plus d’un million de têtes bovines et de 25 à 30 millions de têtes ovines, selon les évaluations faites par des organismes spécialisés affiliés au ministère de l’Agriculture et du développement rural. Alors que la consommation moyenne avoisine les 15kg/habitant/an, ce cheptel est, pour les opérateurs du secteur, insuffisant pour répondre à la demande exprimée, particulièrement en viande bovine, une raison pour laquelle des perturbations dans la chaine d’approvisionnement et des flambées de prix sont observées à certaines périodes de l’année, comme c’est le cas depuis février dernier où la viande rouge a enregistré des hausses de 300 à 400 DA/kg.
La réouverture des frontières pour l’importation de bovins d’engraissement permettra ainsi de rééquilibrer l’offre et la demande. A travers cette opération, les pouvoirs publics visent à revenir au niveau d’importation d’avant 2020, soit une moyenne de 100 000 à 120 000 têtes, à partir de la France et l’Espagne, qui sont les principaux fournisseurs de l’Algérie en bovins vivants.
2,8% du PIB
Pour ce qui est des viandes blanches, la consommation moyenne atteint, selon les estimations annoncées par le P-dg de l’ONAB, les 500 000 quintaux par mois, soit des besoins qui s’élèvent à quelque 6 millions de quintaux/an. A ce rythme, l’état de la filière fait ressortir donc un déficit de près d’un million de quintaux par an qu’il faudra combler par la restructuration profonde de la filière. En effet, avec près de 80% d’éleveurs qui évoluent dans le circuit informel, à en croire le président de l’Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), El Hadj Tahar Boulenouar, il est difficile d’établir une traçabilité fiable de la filière et de contrôler les chaînes de production et d’approvisionnement. C’est pourquoi la politique de développement mise en œuvre vise, pour la filière avicole, l’incitation des producteurs à la régularisation de leur situation mais aussi l’encouragement des porteurs de projets à monter des unités d’élevage et de production plus modernes.
Enfin, il faut noter qu’avec un taux de participation au PIB de 2,8%, selon le cabinet Business France, la production animale est l’une des filières stratégiques bénéficiant d’importantes subventions sous diverses formes et occupe une place importante dans la politique de développement agricole des pouvoirs publics.
M. N.
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Amélioration des conditions d’accueil dans les bâtiments d’élevage : Le grand chantier du bien-être animal
Que ce soit pour les fermes avicoles ou les cheptels bovins, le type de bâtiments d’élevage et les conditions d’accueil dans leur enceinte constituent un facteur déterminant pour l’amélioration des rendements.
En effet, confrontées à des conditions climatiques de plus en plus rudes à l’effet des changements climatiques, avec des pics de chaleur en hausse d’année en année, les fermes d’élevage n’ont d’autre alternative que l’adaptation de leurs bâtiments avec l’amélioration des conditions de vie des animaux.
A titre indicatif, les études vétérinaires menées ces dernières années évaluent le taux de mortalité dans les exploitations d’élevage avicole à plus de 30% durant les périodes chaudes de l’année ou durant les épisodes de vagues de froid, notamment en zones de montagne et dans les hauts plateaux. En effet, évoluant pour une grande partie dans le circuit informel, il est aisé de constater que les élevages avicoles, pour leur majorité, sont menés dans des hangars construits avec des matériaux de fortune (parpaing, brique rouge) ou en feuilles métalliques sans respect des normes d’isolation thermique ou d’aération pour la protection des volailles.
De même pour l’élevage bovin, des études similaires, établissent un lien étroit entre, par exemple, la baisse des rendements des vaches laitières importées et le stress qu’elles subissent dès leur introduction dans des bâtiments d’élevage où elles ont du mal à s’acclimater aux conditions dans lesquelles elles sont accueillies. A l’exception des quelques fermes modernes d’élevage intensif réalisées par quelques d’opérateurs ayant investi dans le secteur agricole, la précarité des bâtiments d’élevage touche la majorité des petites exploitations et fermes familiales d’élevage extensif.
Le renouvellement des bâtiments d’élevage avec l’introduction de nouveaux équipements plus modernes est, sans doute, l’autre chantier qui ne doit pas être ignoré pour garantir un nouvel essor à la filière d’élevage dans tous ses segments.
M. N.