À quelques jours de l’Aïd El Adha, les regards sont à nouveau braqués vers le mouton qui constitue l’un des postes de dépenses suscitant la préoccupation d’une grande partie des ménages, et vers la filière d’élevage ovin dans son ensemble, en tant que l’une des principales activités caractérisant l’agriculture locale, mais aussi, absorbant une grande partie des subventions dédiées au secteur.
Par Mohamed Naïli
Sur le marché, jusqu’à hier, les avis sont restés mitigés sur l’évolution des prix, qui oscillent entre 40 000 et 120 000 DA, voire plus par endroit, notamment dans les grandes villes où la disponibilité est moindre, nous a-t-il été fait savoir. Côté demande, ce n’est pas encore le grand engouement, étant donné que les chefs de famille, dans leur majorité, préfèrent attendre les derniers jours pour l’achat de ce symbole de sacrifice, dans l’espoir de voir les prix reculer pour certains, et faute d’espace pour garder le mouton, pour d’autres.
Cependant, les observateurs au fait de la tendance du marché du bétail et les maquignons mettent en avant un nouveau paramètre qui risquerait de fausser les calculs des acheteurs cette année, à savoir, que c’est la première fois depuis trois ans que l’Aïd intervient dans des conditions sereines sans restrictions sanitaires, ce qui inciterait, potentiellement, un grand nombre de familles à le célébrer, contrairement aux deux années précédentes où la pandémie de la Covid-19 a poussé plus d’un à renoncer à cette fête. Dans ce cas, l’engouement sur les points de vente pousserait, à coup sûr, les prix du mouton vers la hausse.
A l’instar des autres types d’élevage, avicole, bovin laitier ou viande, les éleveurs activant dans la filière ovine, se disent être touchés eux aussi par la flambée des prix des aliments de bétail. Ils sont donc unanimes à justifier une hausse des prix du mouton exceptionnelle cette année, en dehors des flambées ponctuelles qu’alimentent les intermédiaires et les spéculateurs durant les quelques jours qui précèdent l’Aïd.
La face cachée des rations alimentaires
De leur côté, les spécialistes et experts en la matière relancent le débat sur la structuration de la filière et son organisation pour mieux cerner ses enjeux et ses vulnérabilités. C’est le cas de Djamel Belaïd, ingénieur agronome, qui, ayant une grande maîtrise des questions liées à l’utilisation des céréales dans l’alimentation animale, situe la problématique de la filière au niveau des intrants pour préparer les aliments de bétail.
A cet égard, il affirme que « le blé subventionné fait l’objet de toutes les convoitises. Ce blé panifiable importé de France ou d’Ukraine est destiné à la boulangerie. Mais certaines minoteries le détournent au profit des éleveurs lorsque l’orge vient à manquer et que les éleveurs sont aux abois », ajoutant : « Plusieurs types de fraudes ont été répertoriés. Le taux moyen d’extraction de la farine est de 75%, le reste est constitué des issues de meunerie et sont destinées à l’alimentation animale. La fraude consiste à réduire ce taux afin de disposer d’une plus grande partie de ces issues de meunerie qui sont très recherchées par les éleveurs ».
Il est utile de rappeler, toutefois, que l’Etat approvisionne les exploitations d’élevage ovin en orge subventionné à raison de 600 grammes/brebis/jour. Néanmoins, les éleveurs sont nombreux à affirmer ne pas bénéficier de ces aides, ce qui les contraint à chercher d’autres circuits pour l’acquisition d’aliments. Le ministère de l’Agriculture a également donné des directives obligeant les minoteries à approvisionner les éleveurs en son, issu de la production de la farine et de la semoule à des prix plafonnés à 1 800 DA/quintal. Sur le terrain, les éleveurs affirment acquérir le son à 3 000 DA/q sur le marché libre.
Ainsi, en dépit des efforts financiers considérables consentis par les pouvoirs publics, estimés en mai dernier par le ministre de l’Agriculture à 6 milliards DA/mois (soit 72 milliards DA/an), la filière ovine, avec son effectif estimé entre 27 et 30 millions de têtes, dont 3 à 4 millions têtes sont sacrifiés durant la fête d’El Aïd, demeure dans l’opacité et la désorganisation.
Besoins élevés en terres de pâturage
Pour mieux comprendre les enjeux de l’alimentation destinée aux ovins, qui semble être le premier, voire le principal, facteur déterminant le prix du mouton, M. Belaïd citera 8 types de rations d’aliments destinées aux ovins, dont, précisera-t-il « 4 d’entre-elles comportent du blé : Une ration composée essentiellement de céréales (orge en grain, blé tendre et son) et une faible part de tourteau de soja ; une ration composée d’orge en grain et blé tendre ; une ration à un seul aliment (blé tendre en grain) et une ration composée de blé tendre et son de blé dur ».
Intégré dans de telles proportions dans l’aliment de bétail, le blé tendre et dur importé n’est donc pas destiné exclusivement à l’alimentation humaine, comme cela a toujours été recommandé par les pouvoirs publics. D’où, la nécessité de revoir la politique d’approvisionnement du marché en ce produit de large consommation, mais aussi la nécessité de structurer la filière d’élevage ovin pour une meilleure transparence.
En outre, Djamel Belaïd évoquera un autre problème lié à l’utilisation des terres destinées à la céréaliculture qui, estime-t-il « sont squattées par le mouton ». « Les terres à blé sont l’objet d’une forte pression de la part des éleveurs transhumants. La compétition entre blé et mouton s’exerce également pour les pailles et les chaumes. Immédiatement après la récolte, les chaumes sont loués à prix d’or aux éleveurs alors que la paille est stockée pour être vendue en période de disette », explique-t-il.
M. N.